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 Prélude : Intégration 0/6

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La Rédac'
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MessageSujet: Prélude : Intégration 0/6   Prélude : Intégration 0/6 EmptyMer 11 Fév - 18:57

La presse illumina la pièce de leurs flashes. Le brouhaha éclata, couvrant les déclics des appareils photos. Les questions des journalistes fusèrent avant même que Kevin Eastman n’aie ouvert la bouche.

« Monsieur Eastman !
– Monsieur Eastman !
– Monsieur Eastman, est-vous heureux de votre nomination au poste de Chef de la police de New York City ?
– Monsieur Eastman, des rumeurs d’adultère…
– Monsieur Eastman, craigniez-vous que… »

Eastman les observa avec lassitude. Il venait de comprendre ce qu’avait voulu dire le Porte-parole du Maire, en coulisses, lorsqu’il lui avait murmuré « bonne chance ».

« S’il vous plait ! s’écria-t-il. Non, pas de questions sur ma femme, est-ce que ça vous regarde ? La criminalité, c’est mon affaire, m’dame… Oui… Silence s’il vous plaît ! »

Le silence ne vint que lorsque Eastman se planta sur sa chaise, bras croisés, le regard fixant le fond de la salle. Les journalistes posèrent encore quelques questions dans le vent, certains essayèrent même de l’énerver (“Monsieur Eastman, votre poids est-il un handicap pour courser les voyous ?”), mais Eastman resta de marbre en attendant le silence.

« Enfin » dit-il lorsque le silence ne fut coupé que par les clic-dziii ! des appareils photos numériques. Même si les appareils étaient dernier cri, les fabricants mettaient toujours un point d’honneur à ce que les appareils confirment bien la prise de vue par un petit bruit conventionné. « J’ai une annonce officielle à vous faire parvenir, pour qu’à votre tour vous la fassiez parvenir aux habitants de la ville. La police confirme l’existence des créatures nommées Tortues Ninja. »


Integration



Clic-clic-clic-dziii-clic-Monsieur Eastman, insinuez-vous…-clic-dziii-Monsieur Eastman !-clic…
Le silence disparu aussi vite qu’un adolescent en mal d’affection disparaît dans le sex-shop du coin. Eastman soupira très bruyamment, mais seul son voisin immédiat, un policier massif, l’entendit.

« Monsieur Eastman, vous parlez bien de ces êtres verts ?
– Ces même tortues que la population new-yorkaise aperçoit depuis plusieurs mois ?
– Monsieur Eastman, est-ce qu’elles sont dangereuses ?
– Monsieur Eastman, comptez-vous les capturer ?
– Les capturer ? Non, dit Eastman. Il n’eut même pas le temps de continuer que les questions fusèrent à nouveau.
– Vous ne comptez rien faire ?
– Monsieur Eastman, votre première intervention sera donc d’annoncer votre inaction ?
– Mais laissez-moi terminer enfin ! s’exclama Eastman, en frappant la table de ses mains potelées. Il n’y a aucune raison de les capturer puisqu’ils se sont rendus à la police hier soir ! »

Le silence se posa sur la salle avec une soudaineté qui inquiéta Eastman. Il craignait d’avoir dit une sottise, du genre “on se les ai farcis en soupe” ou “on va leur donner les clefs de la ville”.

« Ils ? demanda finalement un journaliste. C’est… des hommes ? »

Eastman se rassura.

« Des hommes, ça reste à prouver. Mais ils sont de genre masculin, ça ne fait aucun doute.
– Ils… se sont rendus ?
– Oui. Ils sont venus hier soir au commissariat principal. Ces “Tortues Ninja” annonçaient qu’ils désiraient intégrer la société new-yorkaise. Ils… mais laissez-moi finir, putain ! (les voix avaient retrouvé toute leur vigueur à cette annonce). Je disais qu’ils voulaient s’intégrer, c’est leurs mots. Ils veulent travailler, participer à la vie communautaire, bref être normaux » (Eastman glissa dans le mot “normaux” tout l’avis qu’il portait sur la question de la normalité de ces monstres).

Les papiers crissèrent sous les coups des crayons des journalistes. Les photographes qui avaient dû déjà avoir chacun une cinquantaine de clichés du Chef sous toutes les coutures profitèrent des bras baissés des journalistes pour reprendre un petit panorama.
Le numérique leur permettant de prendre des centaines de photos sans craindre pour leur précieuse pellicule. Voilà un progrès pour lequel Eastman n’était pas favorable.

« Leur signalement est le suivant…
– Vous voulez dire qu’on va en rencontrer dans nos rues ?
– Ils font environ deux mètres de haut, forte musculature, continua Eastman. Leur peau est verte. Ils ont quatre doigts aux mains et une carapace sur le dos, comme des tortues. Ils n’ont pas de nez mais une sorte de museau, et pas de cheveux. Et elles ne sont pas ninja et n’ont jamais sauvé qui que ce soit. Si vous voulez voir des sauveteurs, passez nous voir au commissariat.
« L’information à relayer est la suivante : si vous les rencontrez, inutile de paniquer. Elles sont pour le moment sous la protection et la surveillance des institutions policières, en attendant les décisions du parquet quant à leur insertion dans la société. Tout acte d’agression à leur écart sera passible de peines de prison pour violence par discrimination. D’autres informations vous seront fournies dans les jou…
– Monsieur Eastman !
– Monsieur Eastman, vous… »

Eastman estima qu’il était temps de se plier aux questions. Mais il était fatigué. Il avait écouté l’histoire de ces tortues toute la nuit, il avait peu dormi, et sa femme lui avait envoyé son vingt-troisième texto de la journée, pour lui annoncer qu’elle le détestait de ne jamais rentrer et qu’elle voulait en savoir plus sur cette histoire de blonde dénudée qui aurait joui dans leurs draps. Il pensa furtivement qu’à ce rythme, il lui faudrait contacter un bon avocat d’ici peu. Adler, peut-être.
Il ne répondrait qu’à trois questions et choisirait les trois journalistes du sexe féminin les plus calmes et les plus sexy, histoire de faire râler sa femme.

« Vous, la brune en tailleur bleu.
– Barbara MacConnad, Times. Est-ce que ces Tortues seront autorisées à travailler ? Devront-elles payer des impôts ? Auront-elles accès aux soins dans les hôpitaux publics ?
– C’est pas de mon ressort, mais de celui du Maire et des tribunaux. A priori, oui aux trois questions. »

Nouvelle vague de bras levés et de “Monsieur Eastman !”.
Il soupira encore plus. Finalement, deux questions, et il partirait.

« Vous, avec le chemiser jaune canari.
– April O’Neil, monsieur Eastman. The Changer. »

Et merde, songea Eastman.”

« Oui ?
– Quelle est votre opinion sur l’entrée de ces Tortues dans notre vie quotidienne ? »

Eastman n’était pas du genre à retenir sa bile quand il voulait la lâcher. Et son opinion sur ces créatures était toute faite depuis qu’il les avait vues entrer dans son bureau. De toute manière, la majorité de la population serait de son avis… Jouer le démagogue lui serait plus négatif que de dire le fond de sa pensée.

« Franchement, je suis contre. La société new-yorkaise est composée d’humains –du moins l’était-elle avant, avec tous ces mutants et ces trucs qui apparaissent, on sait plus vraiment qui est qui. Pour moi, ça reste des tortues qui marchent debout, et les tortues c’est tout juste bon à bouffer de la salade. Mais on les surveillera de près, vous z’inquiétez pas. Bonne journée. »

Il se leva et quitta la table de conférence sous des flashes encore nourris. Les journalistes le questionnèrent à nouveau sur leur accès aux hôpitaux, sur la nouvelle discrimination envers les êtres “génétiquement différents” et sur cette femme avec qui il aurait été surpris en train de batifoler.
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