Garfield était seul à présent, dans cette grande pièce vide, aux murs sales et craquelés . Une odeur nauséabonde flottait dans les airs, une odeur de putréfaction . Une horrible odeur . Une insupportable odeur . Les trois hommes gisaient devant lui, leurs têtes fracassées baignant dans leur sang . Quelques mouches étaient agglutinées sur les plaies ouvertes ou volaient dans la pièce, attendant leur tour . Garfield tremblait devant ce spectacle, horrifié, déboussolé . Le combat avait été d’une extrême violence . La dizaine de skinheads avait déboulé dans l’immeuble armés de batte de base-ball cloutées et de couteaux . Ils s’étaient attaqués à tout ce qui bougeait, ne se préoccupant pas de savoir si ceux qu’ils démolissaient étaient des femmes ou des enfants . Garfield avait tenté de s’enfuir mais trois hommes l’avait rattrapés dans la pièce où il se trouvait maintenant . Ils avaient tentés de le frapper mais Garfield avait réussit à se soustraire de leurs étreintes . Mais ils l’avaient coincés dans un coin . Leurs sourires sadiques en disaient long sur le traitement qu’ils allaient infligés au garçon . Ils s’étaient donc approchés lentement tandis que Garfield restait terrorisé, les genoux s’entrechoquant, des larmes inondant ses joues . Que leur avait-il fait ? Sa seule faute serrait donc qu’il soit ce qu’il ait ? Qu’il soit différent ? Qu’il est la peau verte ?
-Tu peux pas savoir à quel point tu va souffrir … Avait dit l’un des hommes avec un sourire de malade .
Puis il s’était jeté sur lui, batte de base-ball à la main . Mais, alors que Garfield allait recevoir le coup et avait fermé les yeux de terreur, pensant très fort à un moyen de se défendre, il avait sentit ses veines se gonfler ainsi que ses muscles . Sa peau s’était étirée dans une horrible sensation vraiment désagréable et il avait donné des coups dans tout les sens, toujours yeux fermés . Lorsqu’il les avait rouverts, les trois hommes étaient morts . Comment avait-il fait ça ? Mystère . Et cela ne le réjouissait pas . Non, il était terrifié, oui, empli de terreur même . Qu’est ce qu’il lui arrivait ?
Un type à l’allure étrange, beaucoup trop grand et beaucoup trop maigre, surgit soudainement et se précipita vers Garfield en enjambant les cadavres sans s’en préoccuper . Il attrapa le jeune garçon par le bras et s’élança dans les escaliers chancelants . Garfield courut à sa suite, plus par automatisme que par fit de conscience . Ils traversèrent le hall saccagé, où gisaient femmes, hommes et enfants, atrocement massacrés par les agresseurs . Mais Garfield n’eut pas le temps de s’apitoyer sur le sort de ses camarades que le grand maigre l’avait de nouveau entraîné dans une course endiablée . Ils sortirent dans la rue et prirent une petite ruelle . Derrière Garfield, qui tentait de suivre son compagnon, on pouvait entendre des cris et des sirènes de police . Une larme caressa sa joue droite alors qu’il commençait à fermer les yeux, essayant de tout oublier sauf une seule chose : courir . Il ressentit alors la même sensation que précédemment, lorsqu’il avait tué ses agresseurs . Sa peau se tira et lorsqu’il rouvrit les yeux, il se sentait comme dans la peau d’un autre, la tête semblant être plus proche du sol et ses pieds et ses jambes comme étant rapetissées . A présent, il courrait extrêmement vite, filant comme un guépard . Il ne tarda pas à rattraper l’autre type au coin de la rue qui fut étonné . Soudain, deux skinheads surgirent de nul part avec des coutelas et des battes en acier trempé . Le maigre prit le chemin opposé, abandonnant Garfield aux agresseurs . Ayant retrouvé son corps originel, il était sans défenses . Le premier des deux gars donna un grand coup de batte mais celle-ci fut retenue par une main puissante . Puis un poing tout aussi puissant défonça le nez du tueur et l’envoya bouler contre le mur . Le deuxième skinhead attrapa Garfield par le cou et tenta de planter le garçon mais un coup de pied lui déboîta la mâchoire . Un coup de poing dans le ventre le fit s’écrouler et une solide prise de judo lui détruisit l’avant bras . Garfield découvrit ses deux sauveurs, un noir américain d’un mètre quatre vingt dix et à la carrure d’athlète et un jeune homme masqué, habillé d’une veste et d’un pantalon militaire .
-Ca va ? Demanda celui à la veste kaki d’une voix calme, sans aucune animosité .
Garfield hocha la tête, encore sous le choc tandis que le grand noir commençait à montrer des signes d’impatience en regardant de tout côté .
-On devrait se dépêcher, les flics vont bientôt débouler .
-Tu as raison, suis nous ! Fit le garçon au masque à Garfield .
Sans comprendre ce qui se passait, Garfield fut entraîné dans une nouvelle course qui ne s’arrêta que bien plus tard, au pied d’un immeuble de Bayview . Le garçon à la veste kaki souffla un peu alors que son compagnon ne semblait même pas fatigué après tant d’actions . Enfin, le garçon masqué lui dit :
-Tu t’appelles comment ?
-Ga … Garfield .
-Tu es ce qu’on appelle un … mutant ?
Garfield baissa les yeux en hochant la tête . Il n’était qu’un monstre . Mais une main rassurante se posa sur son épaule alors que la voix du garçon reprenait :
-Tu n’as pas à avoir honte de ce que tu es . Peut importe le regard des autres, tu sais .
Ces paroles sincères firent sourire faiblement le jeune mutant qui leva les yeux vers son sauveur .
-Merci de votre aide à tous les deux . Sans vous, j’étai cuis, archi cuis . Mais pourquoi vous m’avez sauvés et pourquoi toi, tu portes un masque ?
Le concerné sembla regarder ailleurs et ce fut le grand noir qui lui répondit :
-C’est un peu notre boulot d’aider les gens en difficulté et de foutre une raclée aux méchants pas beaux .
-Arrête de lui parler comme à un gosse, fit le masqué en secouant la tête . Ce qu’essaye de t’expliquer mon ami, c’est qu’on protège les gens des criminels .
Garfield ne put s’empêcher d’éclater de rire et dit d’une voix un peu plus enjouée :
-Vous êtes des super-héros, les gars, ou quoi ?
-Pas vraiment, Garfield . Répliqua le masqué . On est pas dans un comics . Nous ne sommes juste que des gars qui essayent d’aider nos concitoyens de notre mieux .
-Et ce sont quoi vos motivations ? On se dit pas un jour en se levant qu’on veut sauver le monde, non ?
Ce garçon avait de la répartie, c’était sûr . Dick et Victor se regardèrent et comprirent que le jeune mutant n’était pas qu’un simple gosse .
-C’est sûr que nous avons nos motivations . Mais passons . On a quelques questions à te poser .
-Vous êtes pas de la police à ce que je sache, non ? Pourquoi poser des questions ? Bon il faut que j’y aille moi, à plus les mecs .
Garfield commença à partir mais Dick le retint et lui dit :
-C’est important, c’est pour notre enquête .
Garfield soupira et se retourna de mauvaise grâce . D’accord ils étaient bien sympa, ils l’avaient sorti d’un mauvais pas, mais il ne fallait rien exagérer . S’ils voulaient jouer aux justiciers, c’était tant mieux pour eux, mais qu’ils le lâchent un peu . Il finit par dire :
-Et ces quoi vos questions ?
-Comment s’appelle le type que tu suivais ?
-Ca vous regarde pas, les mecs . Ce sont mes oignons .
Dick soupira en se frottant le front tandis que Vic regardait la scène, dos contre un mur, avec un sourire amusé .
-T’as quel âge, Garfield ? Fit ce dernier .
-Quatorze ans . Mais qu’est ce que ça peut vous faire ?
-Tu es mineur . Tu as un tuteur ?
-J’étais en orphelinat si tu veux tout savoir . Et crois moi, la vie là bas n’était pas rose . C’est tout ? Je peux m’en aller ?
Victor haussa les épaules négligemment tandis que Dick relevait la tête et demanda :
-Tu peux te transformer en animal .
-Quoi ? Fit l’intéressé, surpris . Qu’est ce que tu racontes ?
-Tout à l’heure je t’ai vu sous une forme animal, tu ressemblais à un guépard, si tant est que les guépards soient verts .
Ainsi, il se transformait en animal lorsqu’il avait cette sensation d’étirement . Garfield vacilla et Dick le retint juste à temps pour qu’il ne s’écroule pas dans les poubelles . Apparemment, le jeune garçon n’était pas au courant de son étonnant pouvoir, sans doute d’origine mutante . Dick le fit s’asseoir en le calmant :
-Je pensai que tu étais au courant de ton pouvoir . Sincèrement navré de t’avoir secoué comme ça .
-Jonathan . Il s’appelle Jonathan Crade .
-Le gars que tu suivais ?
-Oui . C’est un mutant, comme moi . Il m’a recueilli après que je me sois enfuis de l’orphelinat, il y a trois mois . On s’était installé dans un immeuble désaffecté, avec une vingtaine d’autres mutants . Et puis il y eut cette annonce du président qui … qui annonçait notre existence . Et puis aujourd’hui, des espèces de néo-nazis nous ont attaqués et … et ils ont … ils les ont tous …
Garfield ne put finir sa phrase et éclata en sanglots . Ils étaient tous morts, gisant dans leur sang, sur le carrelage froid du bâtiment, massacrés comme du bétail, du simple bétail . Pourquoi ? Ce n’étaient que des gens qui voulaient vivre comme les autres, être normaux, ne plus vivre cacher de tous . Ils étaient simplement épris de rêves et de liberté mais on leur a tout pris . On les a sauvagement et froidement assassinés .
Dick lui tapota l’épaule en signe de compassion . Il comprenait ce que pouvait ressentir le jeune adolescent, en proie à une terrible et cruelle souffrance, comme celle qu’il avait ressenti lorsque ses parents étaient morts . Comme lui à l’époque, il était perdu, déboussolé, terrifié . Garfield venait de vivre les pires instants de sa vie et il avait fini par craquer rien qu’en évoquant ses anciens compagnons . Quoi de plus cruel que de perdre des être chers, des êtres innocents ?
-Calme toi, Garfield . On va t’aider . Tu avais un autre endroit où aller à part l’immeuble où tu vivais ?
Garfield, toujours secoué par le chagrin, secoua la tête négativement . Il n’avait jamais eut d’autres maisons que le vieil immeuble désaffecté aux briques rouges à présent rempli de morts . Il n’avait nul part où aller . Jonathan avait préféré fuir et il ne le reverrait sans doute jamais .
-Je peux peut être t’héberger pendant quelques temps, jusqu’à ce qu’on retrouve ton ami Jonathan, d’accord ? Fit Dick d’une voix douce .
Garfield acquiesça d’un signe de tête, séchant ses larmes . Puis les trois nouveaux amis disparurent dans la nuit dans un silence des plus tristes .