Resist or Die, deuxième partie.
DRIIIIIIING. DRIIIIIIING. DRIIIIIIING.
Au bout de trois sonneries, une main sortit de sous la couette pour prendre le combiné et l’approcher d’un visage rongé par les efforts physiques et psychologiques des derniers jours. Et à cette fatigue s’ajoutait la frustration de ne pas dormir aussi longtemps qu’elle le désirait, ce qui expliquait donc le sale caractère de Sara Pezzini à ce moment-là.
« Quoi ? »
Sa voix était froide et cassante, et elle n’avait aucune envie d’être sympathique. Elle était usée par tout ce qui lui était arrivé dernièrement, et voila qu’un imbécile l’appelait tandis qu’elle dormait. Cet crétin allait passer un mauvais quart d’heure, pensa la jeune femme en serrant la téléphone contre son oreille, toujours emmitouflée sous la couette.
« Sara, c’est moi.
- Ah. »
C’était Danny. Danny ShanLi. Son meilleur ami. Son coéquipier. La seule personne de confiance qui lui restait encore sur cette Terre. La seule qui n’avait pas juré sa perte et ne faisait pas tout pour la retrouver et la tuer. Elle appréciait Danny. Plus que tout au monde. C’était une sorte de frère, pour elle.
Mais là, maintenant, elle le détestait, et n’avait aucune envie de lui cacher ça.
« Qu’est-ce que tu veux ?
- Il est quinze heures, Sara. »
La voix de son ami était douce et calme, mais ça n’arrivait pas à calmer la colère de la jeune femme. La conscience revenait lentement en elle, et avec elle les douleurs dans tout son corps. Avant, elle était encore un peu endormie et ne sentait donc pas toutes ses blessures, mais maintenant qu’elle se réveillait à cause de Danny, tout lui revenait…et ça ne faisait qu’attiser sa colère contre celui à qui elle devait sa survie.
« Putain. Fais chier. »
La policière soupira. Il n’appellerait pas si ce n’était pas le cas, et si cette heure n’était pas extrêmement importante pour elle. Oui. Il était sûrement quinze heures. Et ça faisait chier, comme elle l’avait si bien dis.
« Putain, ouais. »
Pezzini n’avait pas l’habitude de jurer, eût égard à son éducation religieuse assez stricte. Mais dans certaines situations, dans certains moments où toute la rigueur de ce qu’on lui avait appris étant jeune disparaissait pour laisser place à la vraie Sara, elle ne se retenait plus. Et là, c’était bien le cas, alors qu’elle enlevait avec difficulté l’énorme couette qui l’avait protégée du froid jusque là.
« Je passe te prendre dans quinze minutes, d’accord ?
- Euh…vingt. Vingt minutes.
- Sara, l’avion décolle à quatre heures et demi…
- Dix-sept minutes. Pas avant. »
Sans rien dire de plus, la jeune femme raccrocha le téléphone et se leva avec difficulté. Ses cheveux étaient sales et n’avaient plus vus d’eau depuis quelques jours, son corps montrait les stigmates de ce qu’elle avait vécu ces dernières heures, et ce n’était pas beau à voir. Son visage lui-même présentait parfaitement toute sa fatigue physique, et ses cernes avaient la taille d’énormes valises tant ils étaient importants.
Non, Sara n’était pas belle à voir. Mais au moins, elle était vivante, et c’était un miracle vu ce qui lui était arrivé.
Elle s’approcha de la salle de bain qui n’était qu’à quelques mètres, et se jeta dans la douche. Lentement, elle sentit le liquide tiède couler sur son corps usé et blessé, et un sourire de béatitude apparut sur son visage. Ca faisait du bien. Et ça faisait longtemps.
Après tout ce qu’elle avait vécu, après tout ce qu’elle avait subi, elle trouvait dans cette simple satisfaction hygiénique une relaxation qu’elle ne connaissait plus depuis des semaines. Peut-être était-ce dû à ce qu’elle avait vécu. Peut-être était-ce dû à ce qu’elle avait traversé ces dernières heures. Peut-être était-ce tout simplement parce qu’elle n’avait autant rêvée d’une douche que depuis qu’elle était arrivée ici, dans cette chambre d’hôtel de la Petite Italie, en plein cœur de Montréal.
Oui. Peut-être était-ce à cause de ça. Mais surtout, Pezzini aimait cette douche parce qu’elle lui rappelait un fait qui avait failli disparaître : elle était en vie. Elle survivait. Et elle aimait ça.
Même si sa discussion avec la Question n’avait pas apportée les résultats escomptés par l’homme masqué, cela avait au moins permis à la jeune femme de retrouver un goût à la vie. Bien sûr, elle n’était pas sûre que ça continue, maintenant qu’elle n’était plus avec lui, mais au moins elle avait retrouvée une sorte de joie de vivre, et pour le moment, elle était toujours là. Elle continuait d’être là. Et ça, la policière adorait, étant donné que ça faisait des semaines qu’elle se traînait comme une âme en peine, à la recherche d’un quelconque but à son existence.
Après plusieurs minutes, Sara coupa l’eau et s’emmitoufla dans une douce serviette. Elle aimait ça. L’hôtel ne payait pas de mine, mais au moins était-il propre et bien fréquent, et ça lui suffisait. Pas besoin de luxe ou de paillettes : une douche, une bonne serviette, un petit-déjeuner, et ça lui allait. Elle n’était pas très regardante, et ça tombait bien.
Danny lui avait trouvé cet hôtel, en fait. Comme il avait trouvé son billet d’avion pour l’Europe. Comme il avait trouvé une autre identité pour Pezzini en quelques heures à peine. Comme il lui avait trouvé une cache en France. Comme il l’avait trouvé elle, finalement. La jeune femme lui devait tout, et elle commençait lentement à s’en rendre compte.
C’était grâce à lui qu’elle était ici, finalement. Après son départ avec la Question, Danny avait apparemment remué ciel et terre pour la retrouver. Usant de ses meilleurs indicateurs et de ses plus grands talents d’enquêteur, il avait découvert que c’était l’homme masqué qui avait emmené Sara, et que c’était sur lui qu’il fallait se concentrer si il voulait la retrouver. Et ça avait payé.
En quelques heures à peine, et surtout grâce à des moyens vraiment peu légaux, le jeune homme avait réussi à trouver le site de la Question et surtout qu’il se trouvait désormais au Québec, et très au Nord. Grâce à ses contacts, il était parvenu à se trouver une voiture tout terrain et s’était dirigé vers la zone où devait normalement être l’homme masqué, même si il n’avait eu aucune idée de quoi faire si il se trouvait en face de lui.
C’était tout lui ça, pensa Pezzini en commençant à s’habiller avec des vêtements achetés évidemment par Danny. Il était un franc tireur, un aventurier qui croyait que la vie était simple et qu’il fallait toujours aller de l’avant pour s’amuser et sauver tout le monde.
Il était naïf, pensa-t-elle. Mais elle aussi l’avait été. Et c’était fini, maintenant.
Elle ne savait pas si ça venait de la mort de Matthieu ou bien de ce que lui avait montré la Question, mais Sara avait perdu une grande partie de ses illusions. C’était sûrement l’action conjuguée de ces deux événements, mais la jeune femme savait désormais que le monde n’était pas beau, qu’il n’était pas blanc ou noir.
Oh, bien sûr, elle avait toujours ses valeurs et c’était bien pour elles qu’elle n’avait pas rejoint la Résistance de la Question, mais quelque chose avait changé en elle, maintenant. Quelque chose qui faisait que désormais, elle savait que la vie était moche et qu’il fallait se battre pour la moindre parcelle de bonheur qu’on pouvait avoir.
Tout n’était pas donné dès le départ, et elle le savait désormais. Trop longtemps, la policière avait pensé que le destin était quelque chose de bon, et que quoiqu’il arrive, tout le monde s’en sortait toujours. Sûrement un reste de son éducation religieuse, avec la main de Dieu qui guiderait les bons et les gentils pour leur permettre d’avoir, malgré leurs malheurs, une juste récompense.
Conneries que tout ça, pensa-t-elle en mettant un jeans moulant et un pull à col roulé rouge. Conneries.
Elle savait désormais que rien de tout ça n’était vrai. Même si elle l’avait déjà compris quand Matthieu était mort, les vidéos et paroles de la Question lui avaient montrées que le monde était encore pire qu’elle ne le pensait. Oh, évidemment, elle savait que tout ça pouvait être trafiqué et changé, mais elle sentait au fond d’elle que ce n’était pas le cas…que tout ce qu’il lui avait montré était vrai. Et c’était bien ça le pire.
Les Architectes existaient. Ces enfoirés existaient. Ils avaient faits tout ce que la Question avait dit, et ils allaient continuer. Même si ils étaient contents d’avoir fait tant de mal aux justiciers en en tuant énormément et en enlevant certains, Sara connaissait assez la psychologie des criminels et des fous pour être sûre qu’ils ne s’arrêteraient pas en aussi bon chemin…surtout pas avec ce qui allait arriver.