Pour être heureux et libre, il suffit à l’homme de le vouloir.
Alexis de Tocqueville.
« Jane ? Ca va ? »
La jeune femme revenait lentement à elle. Seules deux petites minutes s’étaient écoulées depuis qu’elle était tombée au sol, inconsciente, mais ça avait suffit pour rendre fou d’inquiétude Karl. Celui-ci était accroupit au-dessus d’elle, tenant une de ses mains fermement tout en tentant de la réveiller par sa voix. Heureusement, ça fonctionnait.
« Hum… ? »
Elle se mit la main à l’arrière de son crâne, où elle s’était sûrement fait un gros bleu, et grimaçant au toucher. Elle rouvrit des yeux fatigués, puis mit quelques secondes pour se rappeler ce qu’il se passait et ce qu’elle faisait là.
« Qu’est-ce que… ? »
Jane jeta quelques regards inquiets autour d’elle, puis ses yeux se posèrent sur le visage de son collègue et elle sourit. C’était un visage ami et elle n’avait donc pas à s’inquiéter, même si elle continuait à être un peu patraque et n’avait pas encore toutes ses capacités.
« Ne t’en fais pas…ça va aller, Jane. Tu es tombée et tu as été inconsciente deux minutes. Reste calme, le temps que tout te revienne. Après, ça ira, et tu te feras passer des tests pour savoir ce qu’il t’est arrivé. »
Elle acquiesça, mais soudain ses yeux s’écarquillèrent. Les souvenirs affluaient dans son esprit, et elle venait de se rappeler pourquoi elle était tombée dans les pommes. Son regard se posa sur le microscope où reposait le sang désormais modifié et différent de Karl, et elle blêmit à l’idée qu’il avait vraiment fait ce qu’il avait dit.
Evidemment, le chercheur se rendit compte de sa transformation et de ses yeux rivés sur le microscope, et comprit ce qu’il se passait. Il soupira, espérant pouvoir la raisonner et lui prouver qu’il n’y avait pas de problème.
« Je sais ce que tu penses…tu crois que je suis complètement fou d’avoir fait ça. Mais écoute, je te ju…
- Mais tu es complètement fou ! »
Elle chassa la main de son ami et essaya de se relever en hâte. Malheureusement, avec sa chute, son état était encore faible, et il n’était pas vraiment indiqué pour elle de faire des mouvements si brusques. Karl tenta à nouveau de la soutenir, mais le regard noir de la jeune femme suffit pour qu’il comprenne que ce n’était pas le moment.
« Ca va contre toutes les règles de l’éthique. Ca va contre la moindre prudence. C’est de la folie, Karl ! De la folie furieuse ! Jamais on ne teste sur soi son expérience ! Jamais ! Mince, tu te prends pour qui ? Jekyll ? Frankenstein ? »
Rebeilyk faillit lui dire que ces personnages avaient été les héros de son enfance solitaire, mais il se retint. Déjà qu’elle devait le trouver bizarre à lire tant de Science Fiction, à être branché sur des films où il n’y avait pas cinquante-six explosions à la minute et qu’elle l’avait vu en train de se déchaîner pathétiquement, mieux valait ne pas en rajouter une couche.
« Ecoute, ce n’est pas si grave. Je me sens bien, et…
- Mais ça tu n’en sais rien ! »
Elle réussit à se relever, même si la tête lui tournait encore. La main sur le crâne, Jane passa quelques secondes pour se remettre, puis releva ses beaux yeux sombres vers son ami, et le fusilla du regard. Elle n’en avait pas fini avec lui. Elle ne faisait que commencer, en fait.
« Tu viens de te traiter aux rayons, mais tu n’as aucune idée de ce que ça va te faire ! Essex a eu de la chance avec ces quatre-là, mais rien ne dit que ça fera la même chose avec toi ! On ne connaît rien encore du processus !
- Mais…j’ai trouvé…
- Tu as trouvé la solution…et bravo ! Mais c’est complètement stupide d’avoir voulu te transformer ! Tu as joué au savant fou ! C’est stupide, Karl ! »
Elle soupira lourdement. Elle était prête à exploser et à lui crier dessus pendant des heures entières, mais elle savait que ça serait contre-productif. A l’heure actuelle, son ami avait compris qu’il avait fait une erreur, et il devait certainement s’en vouloir de n’avoir pas réfléchi avant de foncer tête baissée.
C’était bien une attitude de mec, ça. Tirer en premier et poser les questions après. Et elle détestait ça.
« Bon…il faut aller dire ça aux autres.
- Quoi ?! »
Les yeux du chercheur s’écarquillèrent. Il comprenait l’inquiétude de sa collègue et commençait à la partager, vu qu’elle lui faisait prendre conscience qu’il avait peut-être vraiment fait une erreur, mais il était absolument hors de question qu’ils aillent en parler aux autres chercheurs ! C’était beaucoup trop dangereux, il valait mieux annoncer tout ça quand de nouveaux tests auront été fait et que toute menace aura été écartée. Il ne voulait pas finir sur une table de dissection ou emprisonner pour toujours…
« Oui. Il faut te faire passer des tests et voir si tout va bien. Il faut t’analyser, créer des protocoles de sécurité, trouver un antidote. Observer les changements de ton corps, essayer des médicaments pour te libérer de ça. On doit aller les voir. Pour te sortir du pétrin dans lequel tu t’es fourré.
- Mais…je ne veux pas sortir de ça ! »
Elle fronça les sourcils. Elle ne comprenait pas ce qu’il voulait dire, et surtout n’aimait pas vraiment le cours que prenait la conversation.
« Quoi ?
- Je ne veux pas qu’on m’enlève ça !
- Tu…tu rigoles, là ? Dis-moi que tu rigoles, s’il te plaît. Ca m’évitera de me dire que mon ami est complètement devenu dingue !
- Je ne veux pas qu’on me l’enlève, Jane. C’est ma chance. Je suis enfin quelqu’un de spécial, et je serai respecté grâce à ça. Je suis celui qui a réussi, et je suis la preuve vivante de ma victoire. Tu ne peux pas m’enlever ça. Tu n’en as pas le droit. »
Jane soupira. Karl était plus que sincère, et elle savait à quoi il faisait allusion. Toute sa vie, il s’était battu pour être respecté et admiré. Même si son enfance n’était pas digne des grands drames, il en avait bavé et en était ressorti avec un complexe d’infériorité pas facile à gérer. Bien sûr, il s’en tirait mieux que beaucoup, mais au fond il avait toujours comme rêve d’être aimé et traité comme un héros.
Elle pouvait donc comprendre qu’il voulait garder ses capacités comme preuve de sa victoire, comme elle disait. Par égard à leur amitié, oui, elle pouvait comprendre. Mais pas accepter.
« Oh, Karl… »
Elle posa sa main sur son bras avec une douceur extrême et un tendre sourire sur le visage.
« …je comprends. Je sais ce que tu veux dire. Mais ça n’empêche que je ne te laisserai pas faire. »
La détermination se lut alors dans ses yeux, tandis que sa poigne se faisait plus forte sur le bras de son collègue pour lui faire comprendre qu’elle ne plaisantait absolument pas.
« Tu dois te faire soigner. On ne sait pas les effets que tout ça peut avoir sur toi. On ne sait même pas si tu as leurs capacités ! Il faut étudier tout ça et essayer de te sauver avant de, peut-être, reprendre les expériences sur les humains. Mais en attendant, tu dois…
- J’ai leurs capacités, Jane. A tous les quatre. »
Elle soupira et tenta de reparler, mais un geste de lui l’en empêcha. Il avait levé sa main pour la faire taire, et ce avec une grande force de caractère sur le visage. Son ami n’était pas vraiment connu pour être quelqu’un de fort, mais là elle ne répliqua pas. Lui non plus ne rigolait pas, apparemment, et elle n’avait pas envie de l’énerver. Ca pourrait peut-être être dangereux, avec un type aussi…atteint.
« Regarde… »
Il sourit et se dégagea de son étreinte pour lever ses mains. Elle voulut l’en empêcher, mais une nouvelle fois son regard lui fit comprendre qu’elle n’avait pas intérêt à bouger le moindre muscle. Elle resta donc silencieuse et immobile, alors qu’il fixait ses mains avec un sourire étrange sur le visage.
« Regarde… »
Ses doigts commencèrent lentement à changer de couleur. Le phénomène était très étrange, mais aussi très rapide. Elles devinrent successivement blanche, jaunes, oranges, rouge et bordeaux, avant de redevenir blanches et ainsi de suite. Cela dura une minute environ, où personne ne parlait, avant qu’elles ne s’arrêtent sur la couleur rouge, et…et que des flammes n’apparaissent autour d’elles !
« Regarde ! »
Ca fonctionnait. Ca fonctionnait vraiment.
Même si elle n’arrivait pas à y croire, même si ça semblait impossible pour elle, Jane était obligée de croire ses yeux. Et ceux-ci lui disaient que l’expérience de son collègue était un succès : ses mains brûlaient, mais ça ne lui faisait rien ! Il avait les capacités du patient numéro trois, et c’était tout bonnement fantastique.
« C’est génial !
- Je…je…
- Et maintenant…la roche ! Avec la force ! »
La jeune femme voulut l’en empêcher, lui dire que c’était dangereux, mais elle ne fit rien. D’abord, parce qu’elle avait peur qu’il ne lui fasse du mal avec ses nouvelles capacités qu’il ne contrôlait pas encore bien, et aussi parce que sa curiosité scientifique était au maximum. Elle aussi, elle voulait voir jusqu’où il pouvait aller et ce qu’il pouvait faire.
Et même si ça n’était pas éthiquement et moralement bien…elle n’y pouvait rien. Comme lui, elle était une scientifique, et le défi était avant tout pour elle. Avant même son amitié avec Karl.
« Regarde ! »
Les mains retrouvèrent leur couleur normale après un léger défilement, et il prit une grande inspiration pour se concentrer à nouveau. Il ferma les yeux, comme si c’était plus difficile que pour les flammes. Un petit rictus apparut sur son visage, alors que ses doigts grossissaient et doublaient même de taille. La transformation commençait.