-On tira rien de ce fumier.
L’inspecteur de police Adrian Chase fulminait. Lui et sa coéquipière avaient passé toute la journée à interroger une des ordures responsables des meurtres en séries associés à l’affaire des « moines fous », sans résultat. L’homme s’était entêté à faire tourner en bourrique les deux enquêteurs et y avait pris un plaisir malsain. Il leur avait fait croire qu’une coopération était envisageable si son cas était réétudié et accompagné d’une remise de peine. Il avait fallu des heures au procureur Hart pour convaincre le maire, sur la sellette depuis la guerre des gangs, puis encore des heures pour que ce dernier contacte le gouverneur. Au final, ils avaient perdu un temps précieux et s’était aperçu que Danny Chase s’était bien moqué d’eux.
En réalité, il jouait avec eux. Son esprit pervers se croyait tout puissant là où il était, dans son rôle d’intermédiaire en or et intouchable. Il avait toutes les cartes en mains, l’impression de tout contrôler, et ce n’était pas bon dans une affaire criminelle qu’un psychopathe se sente en confiance. Cette ordure, qui portait le même nom que Adrian à son grand dam, s’était amusé avec eux comme un chat s’amuse avec une souris avant de la dévorer. De ses pattes griffus, il faisait espérer ses proies avant de les croquer. Ce type était une reclure comme on en faisait plus. Un monstre qui avait participé joyeusement au massacre de ces adolescentes. Un pervers. Un esprit malade. Un sociopathe névrosé en manque de puissance.
Adrian connaissait ce genre de cinglés. Ils voulaient tout contrôler et posséder l’ascendant psychologique sur les autres. Aussi Danny était-il paru extrêmes confiant, le sourire aux lèvres, parlant d’un ton courtois et des plus civilisés, contrastant le plus possible avec son image de tueur froid et fou. Bien sûr, la sauce n’avait pas prise et les deux inspecteurs ne s’étaient pas laissés berner. Mais pourtant, c’était toujours Danny qui fixait les règles du jeu et qui continuait son manège infernal où les mensonges abondaient.
Il avait d’abord raconté la version « officielle » de l’affaire précédente. La bande qu’avait cueillie les policiers - les Titans n’étaient jamais mentionnés - était belle et bien au complet. Pas un des moines ne manquaient à l’appel. Leur supposé chef ? C’était lui. Lui le gourou, lui le maniaque, lui le cerveau. Lui qui avait imaginé chaque pièce du plan diabolique, de la construction de la société écran jusqu’à la capture des jeunes victimes.
Puis il avait raconté comme à son procès que le groupe s’était rencontré sur des sites internet pédophiles dont on avait retrouvé les traces et qu’il avait été formé ainsi, au fur et à mesure des conversations et des pulsions, sous sa propre houlette. Lorsqu’il avait parlé de son rôle dans l’histoire, Adrian avait put lire une satisfaction sans bornes dans son regard, le désir de se sentir important totalement assouvi. Et son histoire tenait bien plus la route qu’une rocambolesque affaire de secte. Pas de mal à se laisser convaincre par un manipulateur comme Danny qui prenait son pied lorsqu’il racontait comment il aimait observer les jeunes filles en cachette, à la sortie des écoles. D’autant plus que les preuves accompagnaient son témoignage. Sites internet, discussions en ligne, achats de bures et d’armes sur la toile, rencontres organisés, tout tenait la route. C’était crédible à cent pour cent et c’était ça qui faisait enragé l’inspecteur Chase au plus haut point.
-On parviendra à lui tirer les vers du nez.
Patricia Trayce elle aussi bouillonnait intérieurement. Danny Chase se moquait d’eux car sa version des faits tournait à son avantage. Car le publique l’avait identifié comme responsable des meurtres en séries. Car la police avait rempli l’affaire comme il le désirait. Et Trayce détestait être manipulée. Surtout par un cinglé comme Danny, menteur et joueur, prêt à tout pour avoir sa photo dans le journal. Ce genre de malades pullulaient dans ce pays et quand ils avaient la chance de s’exprimer, il ne s’en privait pas.
C’était comme… voulu, d’ailleurs. Bizarre. Comme si quelqu’un l’avait poussé sous les projecteurs pour couvrir sa propre sortie. Ces heures passées à interroger Danny avait fait germer une idée plausible dans la tête de l’inspectrice, à condition de renier tout le dossier établi avec les aveux de Danny et de faire une totale confiance à ce que lui et son coéquipier avaient vu. L’état jubilatoire de Danny avait montré une chose : il était heureux de sa situation. C’était un psychopathe ayant soif de célébrité, comme bon nombre de ces homologues. Il voulait les journalistes, il les avaient eu. Il voulait la une des journaux, il l’avait eu. Il voulait voir son visage diffusé sur toutes les chaînes, il l’avait vu. Que pouvait-il rêver de mieux ?
Si chef au dessus de lui il y avait, il l’avait peut être choisi pour ça. Un chef qui continuait à ordonner à son disciple qui profitait de sa nouvelle notoriété en toute quiétude. Peut être n’était-il qu’un pion sur un échiquier aux pièces inconnues. Le pion Danny les dominait car il était couvert par les autres pièces. Le pion Danny était confiant parce que son roi l’était. Oui, peut être que le roi et la reine, les pièces maîtresses, l’avaient recrutés pour cette mascarade. Ils avaient achetés ce psychopathe en échange de sa célébrité.
A présent, tout commençait à devenir limpide dans l’esprit de la jeune femme et elle ne tarda pas à tout dévoiler à son équipier qui, lui aussi, avait pressenti la chose. Puis ils s’unirent pour réfléchir ensemble à comment faire vaciller les défenses de l’ennemi. Le plan était tellement bien rodé et solide qu’il était difficile de ne pas s’y perdre. Mais les deux inspecteurs s’étaient jurés de tenir bon et de poursuivre.
-On doit parvenir à tirer quelque chose de Danny, murmura Trayce. C’est le plus important. Ne nous emballons pas dans des théories pour le moment. C’est prioritaire de faire parler ce fumier. Après on avisera avec le procureur Hart.
-Et si Hart ne nous suit pas là-dessus ? On ne peut pas prouver qu’un mystérieux type a orchestré des meurtres sur des adolescentes en faisant porter le chapeau à Danny et ses copains pour une raison inconnue. Ca fait beaucoup trop de points d’ombre pour qu’on nous croit.
-Ne juge pas Hart ainsi. C’est un excellent procureur qui sait lorsqu’il a affaire à un menteur ou à un honnête homme. Il nous croira.
-Bien sûr ! Il n’est à la tête que d’une enquête sur un meurtre similaire et n’est sûrement pas prêt à se lancer à l’aveuglette dans une telle histoire…
-Au contraire.
La voix qui venait de l’interrompre, Adrian la connaissait. Aussi ne fut-il pas surpris de voir le procureur Hart apparaître, suivi du directeur de la prison.
-J’ai entendu votre petit débat et croyait moi, je suis déterminé à arrêter ces fous tout autant que vous. Je crois en votre histoire et suis prêt à vous suivre là-dessus.
-Pourquoi ça ? Vous êtes un procureur respecté et ressortir cette affaire des « moines fous » pourrait foutre en l’air votre carrière.
-Je lui dois bien ça.
Un léger sourire apparut sur le visage sévère du procureur de justice qui s’évanouit presque aussitôt. Le brillant juriste ne pouvait avouer qu’il avait eu une romance avec Loren Jupiter, cette milliardaire énigmatique à la tête d’un empire financier. Au fond de lui, il savait que l’assassinat n’avait pas eu lieu par hasard et qu’il avait plus l’allure d’un règlement de compte qu’autre chose. Loren connaissait ses assassins et avait converser avec eux avant d’être agressé par surprise. Il avait vu et revu la bande vidéo du crime. Elle était confiante avant sa mort et voir des cinglés en bures débouler dans le parking ne l’étonnait pas un instant. Elle était liée à eux, à ce « roi » dont faisait référence les deux policiers. Elle était dans l’affaire jusqu’au cou et il l’avait compris depuis le début. C’était aussi ce qui l’amenait à croire aux allégations à l’apparence farfelue des deux éléments en face de lui.
-Quoi qu’il en soit, l’interrogatoire n’a rien donné. Sans l’aide de ce salopard, nous nous retrouvons au point de départ.
-Puis-je me permettre une remarque, Jason ?
Hart se tourna vers le directeur de la prison, un homme rondouillard au visage jovial et à la barbe grisonnante, aux faux airs de père noël.
-Oui, Tom ?
-Danny Chase est un coriace et s’il refuse de vous parler, il s’entêtera. Depuis qu’il est ici, j’ai noté qu’il avait une certaine notoriété auprès des autres détenus. Comme s’il jouissait de sortes de « privilèges ». Bien sûr, les gardiens ne sont pas sûrs et il est impossible de faire parler les prisonniers mais… j’ai peut être l’homme qu’il vous faut pour espionner Chase à l’intérieure de ma prison.
-Excellent ! Rugit Hart, aux anges. Comment s’appelle cet homme ?
-Éric Forrester.
*
-Initialement, vous étiez ici pour une série de braquages dans la région puis votre peine qui était de dix ans a été rallongé à quinze après une évasion en compagnie d‘un terroriste hautement dangereux. C’est bien ça ?
-Ouais, msieur.
Hart posa son regard sur l’homme en face de lui. D’une trentaine d’années, Eric avait de longs cheveux bruns ainsi qu’une mauvaise barbe qui lui dévorait le visage. L’air désinvolte, il respirait l’arrogance. C’était un voyou, ça se voyait, mais pas un assassin. C’était déjà ça.
-Le bilan n’est guère brillant en tout cas. Vous allez passer un sacré bout de temps en taule. Ca doit être difficile, cette situation.
-On s’y habitue.
-Non. On ne s’habitue jamais à la prison.
Le ton déterminé et dur du procureur étonna quelque peu Éric qui ne répondit pas. Que le directeur lui demande de venir le voir dans son bureau, c’était louche. Mais qu’il soit en plus accompagné d’un procureur, là il y avait de quoi être méfiant.
-Je vais être clair avec vous. J’ai besoin de votre aide.
Hart avait décidé de couper court à tout blabla et s’était lancé dans le vif du sujet. Forrester n’était pas un mauvais bougre, il n’avait juste pas eu de chance dans sa vie. Ayant grandi dans un coin pauvre, il avait très vite appris que pour survivre, il fallait se battre, souvent voler, parfois tuer. Lui n’était pas arrivé jusqu’à ces extrémités là mais il savait se défendre. C’était un dur, rien à voir avec ces merdeux qui tuaient pour un rien et composaient une part importante de la population pénitentiaire.
Ici, Éric n’appartenait à aucun clan. Il avait su manœuvrer pour qu’on le laisse tranquille et qu’on garde ses distances avec lui. Aussi, aucun gang ne l’avait recruté et tous se tenait à l’écart de lui. Il était quelqu’un d’assez intelligent pour ne pas les provoquer bêtement et savait répondre à un coup sans pour autant prendre les devants et devenir une cible de choix. Qui plus est, quelques motards avec qui il traînait sans pour autant faire parti de leur bande le protégeaient quand cela devenait dangereux pour lui. C’était cette neutralité que Hart affectionnait en plus de ce petit quelque chose qui ferrait toute la différence.
-Alors, que décidez-vous ?
Hart observa son interlocuteur pour y déceler un quelconque sentiment mais Forrester restait de marbre.
-C’est trop dangereux, finit-il par lâcher.
Éric n’était pas fou et il connaissait très bien les risques de jouer les indics en prison. Si quelqu’un s’en apercevait, ce serrait cuit pour lui et il finirait avec un couteau entre les omoplates ou pire. Non, il devait poursuivre sa vie tranquille sans rien demander à personne et finir sa peine en espérant retrouver sa femme et sa fille à sa sortie, même si les chances étaient infimes.
Depuis son évasion, son couple battait de l’aile et son épouse voulait le quitter. Elle n’allait pas le revoir pendant vingt ans alors à quoi bon attendre ? Il la comprenait et ça le rendait malade. Il aimait sa femme plus que tout au monde ainsi que sa petite fille qu’il chérissait. C’était d’ailleurs pour eux qu’il avait fais ces braquages. Il fallait bien qu’il les nourrisse et il souhaitait le meilleur pour sa fille. Combien de fois avait-il rêvé de l’inscrire dans une école privée où elle s’épanouirait et poursuivrait des études supérieures qui ferraient d’elle une personne importante ? Bien sûr, ce n’était que des chimères mais l’espoir était tenace dans son cœur.
-Votre peine sera réduite de deux ans.
-Ca suffit pas. Je veux faire neuf ans, pas plus. Et dans un autre endroit qu’ici.
Forrester réclamait beaucoup mais ça valait le coup de tenter quelque chose. Jason s’était fais la promesse de retrouver les assassins de Loren et il devait tenir sa parole. Néanmoins, il lui restait un joker.
-Je sui au courant, vous savez.
-De quoi parlez-vous ?
-Vous savez très bien de quoi je parle, Éric. Je sais ce que vous êtes.
-Vous ne savez rien de moi.
-Juste assez, croyez-moi.
-Ah oui ? Et qu’est-ce que je suis, au juste ?
-Vous êtes un mutant à l’ouie ultra développée. Je me trompe ?
La stupeur pouvait se lire sur le visage du prisonnier. Il ne s’attendait pas à ce que quelqu’un connaisse le secret qu’il tenait fermement à cacher. Comment pouvait-il être au courant ? Puis il se souvient de la prise de sang qu’on lui avait faite à l’infirmerie. Son ADN mutant avait du être mis à la lumière à ce moment là. Si ce procureur était au courant de sa différence, il pourrait en parler au FBI ou à l’armée et adieu la liberté. Il ne serait qu’un outil de recherche pour des scientifiques tarés et on ne le reverrait plus jamais.
-Vous comprenez en quoi votre « super ouie » nous aiderait.
-Qu’est-ce que vous voulez savoir dans cette foutue prison ?
Hart sourit presque imperceptiblement puis dit d’un ton moins dur :
-Un détenu du nom de Danny Chase a été récemment interné ici.
-Le malade qui se fait surnommer Phantasm ? Il a éventré des gamines, paraît-il. Un vrai malade.
-Oui, c’est bien lui. Cet homme est un maniaque, un psychopathe qui aurait du être enfermé dans un asile et non dans une prison normale.
-Vous voulez dire qu’il a…
-Oui. Je pense que quelqu’un lui facilite la vie ici. D’habitude, un pédophile ne fait pas long feu en prison.
-C’est vrai. Généralement, on le retrouve mort dans leur cellule ou sous la douche. Cette ordure s’en sort plutôt bien jusqu’à présent.
-J’aimerais que vous l’espionniez. Avec votre don et votre intelligence, vous ne vous ferrez pas prendre, j’en suis certain.
-Hum. Ce sera difficile.
-Je sais, mais vous devez y arriver. Ces amis sont encore dehors et continuent à frapper.
-J’avais lu dans les journaux qu’ils avaient tous été pris.
-C’est la conclusion… officielle.
-Quoi qu’il en soit, votre coco est sous la protection d’un gang latino puissant ici. Les Redentores. Ils contrôlent quasiment tout ici. Si ils me repèrent, je suis foutu. C’est une mission risquée que vous me demandez là et…
-Je parlerai à votre femme.
Éric observa le procureur quelques instants. Il semblait dire la vérité et étrangement, il lui faisait confiance. Celui qu’il aurait du considérer comme un ennemi pouvait se révéler un allié non négligeable pour sortir de cette merde dans laquelle il était.
-J’accepte.