Vous voulez savoir ce que ça fait de voir son corps disparaître inexorablement ? Vous voulez savoir ce que ça fait de ne voir q’un grand vide à la place de son bras gauche ? Allez demander à Johnny Blaze, peut être qu’il vous répondra. Johnny avait les boules. En fin de compte, c’était pire que mourir. La mort, il l’avait déjà vécue. C’avait été brutal, il faut l’admettre, mais rapide Johnny n’avait pas eu le temps de réagir, il était tombé sous les balles et parti embrassé le bitume. Pas le temps de se révolter, de contrer, ou même de penser. Le rire de Wallace Henderbach n’avait résonné que quelques secondes dans son crâne. Pan. Splash. Rideau. Là, c’était un peu plus étrange, et surtout, beaucoup plus angoissant. Il est vrai que voir son enveloppe charnelle disparaître petit à petit, c’est déconcertant. Johnny ne vivait pas cet instant devant un écran de télé, confortablement assis dans son canapé, une bière à la main, captivé par le film et s’imaginant à la place du personnage principal. Non, là il vivait. Il était le personnage principal. Il regarda sa main gauche, ou plutôt son absence de main gauche. Il ramassa sa montre et la mit tant bien que mal à sa main droite. Il regarda la moto. Ce n’était même pas la peine d’essayer. Avec un seul bras, il n’irait pas bien loin.
Stryker. Stryker, espèce d’enfoiré. Il lui avait menti. Il lui avait promis la libération, le retour à la vie, pas une désagrégation en direct ! Mais merde ! pourquoi ce salopard lui avait-il promis ce qu’il ne lui donna pas ? Pourquoi ? Sa résurrection, sa cohabitation avec Zaratos, alors qu’il était en train de perdre les pédales, Stryker était apparu comme un signe, un bon auspice. Certes, se venger des Henderbach lui plaisait, mais la mise en scène macabre à l’entrée de l’immeuble, la transformation de la moto, le départ de Rachel, tout ça le dépassait. Il avait voulu revivre, pas être un moyen de transport pour un boucher millénaire, même si ledit boucher était plutôt sympathique. Zaratos… Où était-il à présent.? En Enfer? Ou bien dans une sinistre prison aux murs pourpres? Au train où il se désagrégeait, il n’aurait probablement jamais la réponse. C’était idiot. Il avait eu une seconde chance, et voilà qu’elle était gâchée. Il ne se déclarerait pas vaincu aussi vite. Un mort en sursis n’est pas encore mort.
William Stryker fumait un gros cigare. Wallace lui avait présenté une boite de Havanes et Stryker en avait choisi un. Théo, la face encore marquée par les cicatrices, debout près de la porte, souriait comme une grotesque gargouille. Wallace regardait le révérend avec un mélange d’admiration et de dégoût.
« Que s’est-il passé ? »
Il avait simplement chuchoté, comme si parler plus fort aurait réveillé des forces qui se seraient révélées incontrôlables. Le révérend aspira une longue bouffée. Sa bedaine se leva et retomba lourdement. Il leva les yeux et sourit de toutes ses dents.
« Croyez vous aux anges et aux démons, Monsieur Henderbach ? »
Wallace ricana, puis partit d’un bon gros rire. Puis il s’arrêta tout net.
« Pas du tout
- Alors vous n’allez pas croire en mes explications »
Wallace se renversa dans son fauteuil et croisa les mains. Il pencha la tête en arrière et se mit à contempler rêveusement le plafond.
« Racontez moi, mon révérend. J’aime les histoires. »
Stryker acquiesça, et commença son récit.
« Vous ne me croirez pas, Monsieur Henderbach. Vous allez m’écouter comme si mon récit n’était qu’une simple légende. Mais parce que vous m’avez engagé, et que je suis grassement récompensé, je vais vous dire ce qu’il s’est passé. De quelle confession êtes vous ?
- Je suis catholique
- Bien. Alors vous savez que Dieu a crée la Terre en 6 jours, et que le septième, il s’est reposé.
- Où voulez vous en venir ?.
- A ce qui se passa avant les premiers textes. Aux premières créatures que Dieu a crée. Nous ne sommes pas les premiers, Monsieur Henderbach. Dieu, avant de construire les Terre et ses habitants, avait déjà crée une race de créature de feu et de lumière. Les anges. Dans un ciel sans limites, ils Le servaient, accomplissant tous Ses désirs. Puis Dieu créa un être d’argile qui méprise tant celui qui l’a vu naître. Certains anges ne purent accepter ce mépris, et encore moins l’indifférence de Dieu face à ce pitoyable insecte. Il leur avait donné le libre arbitre, et l’Homme se détournait de Lui. Lucifer remit en question Son omnipotence, et rallia à lui d’autres anges félons.
- Même si ce passage n’apparaît pas dans la Bible, je connais le Chute de Lucifer. »
Wallace s’était redressé dans son fauteuil.
« Je ne vois toujours pas où vous voulez en venir. Je n’ai pas besoin d’un cours de catéchisme.
- Si vous cessiez de m’interrompre, j’aurais le temps d’en finir. »
Ces paroles furent pour Wallace un véritable coup de fouet. Il tiqua, mais ne répondit pas, et laissa l’autre continuer.
« Donc, reprit Stryker, vous avez au premier plan le combat qui vit se confronter Lucifer à Michael. Mais ce qui nous intéresse, c’est l’histoire de deux autres anges : Zaratos et Anadriel. Les liens qui les attachaient étaient des plus nobles. Lorsque sonna la trompette de Lucifer, ils choisirent chacun un camp différent. Mais avant d’aller sur le champ de bataille, il s’étaient promis de faire revenir à la vie le premier qui tomberait. Zaratos chevauchait avec ceux qui allaient devenir des Démons, quand il vit son ami tomber. Il alla près de lui, abandonnant le combat. Dans son dernier souffle, Anadriel lui rappela leur serment, et Zaratos se rendit compte qu’il avait choisi le mauvais camp. Il se rangea du côté de la Lumière, et assista à la chute de Lucifer. Mais le Paradis, comme l’Enfer, firent de lui un paria. Ni ange, ni démon, ni humain, il fut condamné à vivre sur Terre. Après un long moment à errer sur la planète, il découvrit un moyen d’accomplir la promesse qu’il avait fait à Anadriel. En s’incarnant dans le corps d’innocentes victimes, il les faisait se venger et récupérait l’énergie de leur vengeance. Le Paradis et l’Enfer ne se rendirent compte de ce stratagème que lorsque Zaratos était en train d’accomplir sa dernière vengeance. Ils firent tout pour entraver sa quête. Il fut contré, mais revit encore et encore, pour chaque fois être vaincu.
- Je ne comprends pas pourquoi ils veulent empêcher ce… Zaratos d’accomplir son serment. »
Stryker se leva et fit quelques pas dans la pièce, tournant le dos à Wallace. Théo, lorsque son regard croisa celui du révérend, tressaillit.
« Mais c’est bien simple, fit le révérend en se tournant lentement vers son interlocuteur. Si Zaratos, ce paria, fusionne avec l’essence d’Anadriel, alors il deviendra le démon le plus puissant et pourra détrôner Satan. »
Wallace poussa un sifflement d’admiration.
« Et qu’en est-il de Blaze ? »
Stryker eut l’air déçu que Henderbach ne s’intéresse pas aux luttes de pouvoirs qui s’installaient sur le plan métaphysique.
« A l’heure qu’il est, il vit encore. »
A ces mots, Wallace se leva brusquement. Ses yeux luisaient de colère.
« Vous m’aviez dit qu’il ne serait plus un problème .
- Il est en train de partir en fumée. J’ai arraché Zaatos de son esprit avant qu’il n’ait pu accomplir sa vengeance. Zaratos avait plongé ses racines trop profondément en lui. Sans le soutien psychique du démon, Johnny meurt à petit feu.
Rachel, au volant de sa petit Ford, pleurait. Ses larmes, autant que la plie sur le pare brise, lui brouillaient la vue. Elle partait, comme le lui avait demandé Johnny. Elle partait, parce que selon lui, Kenston City allait devenir dangereux d’ici quelques temps. Il lui avait dit de partir, mais ce n’était pas ça qui lui faisait mal. Il l’avait jeté, en lui faisant un tourd e magie. Enflammer une moto ! Il avait du voir ça sur un site de pyrotechnie. Elle l’aimait, et plus rien ne la retenait à Kenston. Elle filait sur la route, en direction de nulle part, quand elle vit, de l’autre côté de la route, un homme faire du stop pour Kenston. Elle freina brusquement, et fit demi tour sans prévenir ceux qui la suivaient, et répondit à leurs insultes par un signe amical du doigt. La pluie ne s’arrêtait pas, et l’homme était trempée comme une souche. Il levait son bras droit, et sa manche gauche pendouillait. Rachel s’arrêta à sa hauteur, et sourit tristement en distinguant les traits de l’individus.
« Vous allez à Kenston, monsieur Blaze ?