Bip ! Bip ! Bip ! Bip ! Bip ! Bip !
A mesure que Franck se réveillait le bruit se faisait plus distinct et plus fort. Son cou était douloureux, il avait l’impression qu’on lui avait broyé les cervicales dans un étau…
Bip ! Bip ! Bip ! Bip ! Bip ! Bip !
D’où venait ce bruit ? On aurait dit une sorte d’horloge digitale… Il entrouvrit un oeil. Bon sang, toute cette lumière ! Il cligna des yeux pour s’habituer à l’éclat du Soleil qui perçait d’une fenêtre rongée aux mites.
Bip ! Bip ! Bip ! Bip ! Bip ! Bip !
Il se releva sur son séant.
A gauche, une porte, cadenassée, solide. Impossible de sortir par là.
A sa droite, la fenêtre, mais au vu des éclats, provoqués sans doute par des pierres jetées par des gosses, elle devait être blindée… Bizarre…
Mais pas le temps d’y penser… A ses pieds, le casque et les ailes technologiques. Laissés par son agresseur, sans nul doute. Au dessus, une sortie, une trappe ouverte sur le ciel parsemé de nuages, la voilà sa sortie. En baissant les yeux il vit un cadran d’horloge digitale, avec ses bip incessants. Non, ce n’est pas…
Bip ! Bip ! Bip ! Bip ! Bip ! Bip !
Une bombe… Et une belle ! La taille d’un gamin de 5 ans, de quoi faire péter tout l’immeuble, l’entrepôt, la maison… 3 minutes… 3 minutes avant l’enfer, le paradis, le feu et le sang… Vite…
Franck enfila tout l’équipement à une vitesse folle. Les ailes, le harnais, le casque… Le voilà prêt ! 30 secondes… Vite…
Bip ! Bip ! Bip ! Bip ! Bip ! Bip !
Prenant son élan, il sauta vers la sortie au plafond. Les ailes se mirent aussitôt à battre frénétiquement, soulevant la poussière, battant à s’arracher du dos de Franck, comme pour sauver leur vie à elles aussi. Plus vite… Plus vite ! Plus que quelques centimètres avant la sortie… Plus que quelques secondes…
Bip ! Bip ! Bip ! Bip !
A mesure que Franck s’éloignait, le bruit angoissant devenait plus lointain… Il se tourna et là il fut plongé dans l’horreur. Un entrepôt, à ciel ouvert semblait-il. Mais là, en plein milieu à quelques mètres de la pièce où se trouvait la bombe, des enfants, des femmes, des gens… Ils allaient mourir dans l’explosion. Vite, arrêter la bombe ! Non, plus que 3 secondes, pensa-t-il. Pas le temps, mais il devait les sauver…
BAOUM !
Franck n’était qu’à quelques mètres de l’entrepôt lorsque tout explosa. Les ailes le couvrirent de ce qu’il appelait le « cocon de métal », le temps de la boule de feu de passer sur lui, et ainsi il ne fut pas brûlé. Mais les enfants, les femmes comment allaient-ils ? Etaient-ils… ?
En se rapprochant, il comprit que seule la pièce où il se trouvait avait été détruite, mais la bombe dégageait à présent de longues langues de feu, qui se rapprochaient des familles, visiblement bloquées dans l’entrepôt. Une bombe incendiaire. Et tous allaient périr dans les flammes. Franck n’hésita pas et plongea…
La chaleur était intense et les flammes obstruaient la vue de l’adolescent, mais il devait continuer. Quelque chose au fond de lui, une petite voix, lui disait, lui ordonnait de se battre, d’aller sauver ces pauvres gens qui risquaient de mourir par sa faute…car oui, Frank était persuadé que c’était bien à cause de lui que l’entrepôt avait explosé et que des gens mourraient.
Le jeune homme arriva en piqué dans le bâtiment en flammes. Ses ailes répondaient parfaitement aux ordres du casque, relié directement au cerveau par divers branchements à l’intérieur de ses oreilles…Hall n’avait pas bien comprit comment cela fonctionnait et avait ressentit une impression bizarre lors de la première fois qu’il porta cela, mais cela s’était vite estompé et il ne sentait presque plus le léger picotement des fils électriques cherchant des prises internes pour recevoir les ordres mentaux de l’adolescent.
L’adolescent réussit finalement à entrer totalement dans l’entrepôt. Une vision d’horreur s’offrit alors à ses yeux : le feu…le feu était partout et gagnait peu à peu tout ce qui était capable de brûler, voir même ce qui était réputé ne pas l’être…des cris…des dizaines de cris appelaient à l’aide, demandaient à Dieu de les achever ou simplement pleuraient…
Frank ne pouvait en supporter plus. Il devait agir.
Hall vit alors une fillette pleurant, seule, le visage dans les genoux et assise par terre. Une poutre allait s’effondrer sur elle…il ne pouvait laisser faire cela. Donnant l’ordre mental à son casque de faire ce qui devait être fait, celui-ci transmit l’ordre aux ailes qui lui donnèrent assez de vitesse pour que l’adolescent capte juste l’enfant au moment où la poutre allait tomber.
Avec sa vitesse, le jeune homme ne pouvait s’arrêter de suite ou effectuer un trop gros virage, sous peine de la destruction de ses ailes sous la pression. De toutes façons, la gamine devait être mise à l’extérieur dès maintenant.
Alors qu’il sortait à toute allure en slalomant entre les flammes, le jeune homme vit un homme acculé par les flammes contre le mur. Si Frank déviait légèrement sa trajectoire, il aurait pu le prendre aussi, mais il aurait alors rencontré violemment le mur…que devait-il faire ? Prendre le risque et peut-être perdre la gamine, mais avoir au moins tenté de sauver une vie de plus ? Ou regretter à vie de ne pas tout avoir tenté, mais survivre à ce malstrom ?
Déviant légèrement sa trajectoire, Hall prit avec son bras libre l’homme terrifié par les cheveux, et baissa la tête pour aller exploser le mur en taule de l’entrepôt, heureusement peu solide.
Le choc fut immense, et le crâne de Frank résonna horriblement tandis qu’il arrivait à sortir avec l’enfant et l’homme de l’enfer qui venait de s’abattre par sa faute sur leur abri. Ayant légèrement mal à l’épaule, l’adolescent déposa rapidement les deux êtres avant de se tourner vers l’entrepôt, espérant que cela s’était atténué…
Tout brûlait…c’était horrible…une vision de cauchemar…sur la dizaine de personnes qui y squattait, aucun ne devait encore être vivant là-dedans…et c’était de sa faute…tout était de sa faute…
Mais soudain, il entendit quelque chose…un cri…un appel à l’aide …quelqu’un était encore vivant là-dedans et appelait à l’aide ! Et Frank n’allait pas le ou la laisser périr par sa faute…
Alors qu’il s’apprêtait à rentrer de nouveau dans le hangar, il entendit des tambourinements à la porte de sortie. Le reste des gens avait pu trouver les portes et voulaient sortir, voilà qui accélérerait l’évacuation.
Détournant son chemin, il vola jusqu’aux portes, hurla aux gens de reculer. Puis, s’éloignant, il s’envola et fonça à toute vitesse pour ouvrir un second passage dans la tôle, en se protégeant le crane et le corps de ses ailes, dans une forme d’obus. En restant en vol, il vit le reste des gens fuir par la porte. Plus qu’un, plus qu’un, se répétait-il, haletant.
Il vola jusqu’au plafond, et jeta un regard. Un homme, le dernier, presque vieux, qui tentait de repousser les flammes avec sa veste, dans un ultime espoir de survie. Franck remarqua que de nombreux bidons d’essence se trouvaient à proximité. Le pauvre gars n’allait pas tarder à finir en morceaux.
Allant plus vite que jamais, il se jeta vers l’homme. Il ne lui faudrait que quelques secondes, pas plus. Mais aussitôt, une langue de flamme brûla un bidon, le plus éloigné, qui explosa, effrayant le mec, et en explosa un autre, qui en explosa un autre, en une réaction en chaîne destructrice. Franck prit une courbe pour lui permettre de prendre la victime dans son élan, mais tout allait exploser avant qu’il n’y arrive.
Le vieux, voyant Franck, agita les bras frénétiquement, complètement perdu et effrayé. Plus que quelques mètres.
A toute vitesse, Franck attrapa le sauvé, en craignant de lui avoir brisé quelques cotes avec le choc. Mais alors, un groupe entier de barils explosa dans une énorme déflagration, derrière Franck. Les ailes déployées n’eurent pas le temps de le protéger entièrement, il perdit le contrôle un instant et il sentit des flammes sur ses jambes. Puis, projeté parle feu, il fut jeté à grande vitesse vers le plafond, et, plus par réflexe, le cocon se reforma, mais le violent impact le troubla un peu et il sentait que l’homme s’attachait désespérément à lui, en serrant les dents.
Puis, les ailes se remirent à battre et il retourna au sol. Se posant en douceur sur la terre ferme, il fut acclamé par tous les squatters, le touchant comme un prophète, l’embrassant comme le Messie.
Pendant ce temps, à plusieurs mètres de là, une femme et un homme avaient observés la scène avec intérêt. Elle se doutait bien qu’il allait s’en sortir, c’était évident…il était l’Elu de ce temps. Mais la jeune femme n’aurait jamais pensée qu’il puisse sauver ces gens…tous ces gens surtout !
En soupirant, elle rangea ses jumelles et regarda son acolyte, celui qui avait facilement mis hors d’état Frank. Elle lui sourit en marchant vers l’échelle menant à leur limousine, tout en bas de l’immeuble.
« Tu sais, Anth…Je crois qu’on pourra peut-être faire quelque chose de lui, cette fois-ci…
- Oui, Maîtresse…Je crois aussi… »
Et tandis que sa patronne descendait vers le véhicule, celui qui se faisait appeler Anth Set souriait grandement en voyant l’adolescent se faire acclamer par une foule enthousiaste. Profite, pensa-t-il alors en rejoignant la jeune femme…profite…cela ne dura pas…