La Pratique.
L’anarchie est un rêve. Une utopie un peu folle, je l’avoue. Mais j’y crois.
Vous venez de voir et d’entendre comment je vois cette pensée, et pourquoi j’y crois.
Peut-être vous ais-je convaincu. Peut-être ais-je réussis à chasser l’influence de la société et de ses doctrines de consommation de vos crânes.
Peut-être, oui. Mais j’avoue que j’ai peu confiance en cette possibilité, mais cela en reste une.
Mais même si je ne vous ai pas convaincus, ce qui est certainement le cas, n’arrêtez pas de regarder cette cassette. De toutes façons, vous êtes trop curieux pour le faire, je le sais déjà. Et, de plus, maintenant que je vous ai exposé la Théorie…nous allons voir la Pratique. Vous n’alliez pas manquer ça, non ?
L’écran de la télévision s’éteint alors.
Le noir total se fait sur la vision d’un être, tout de noir vêtu, semblant sourire sous son étrange masque.
Le spectateur ne comprend pas. Il attend quelques instants, se lève, s’approche. Caresse son magnétoscope, vérifie qu’il est bien branché. Il l’est. La télévision n’a aucun problème non plus. Le téléspectateur ne comprend pas.
Soudain, l’image revient. Mais ce n’est plus une vision d’un être entièrement habillé de noir qui se fait appeler L’Anarchiste et qui a exposé, quelques minutes auparavant, ses théories révolutionnaires et utopistes. Maintenant, une vue de New York est sur l’écran de la télévision. Une vision du quartier des affaires de Manhattan, avec les immenses buildings qui font la renommée de la ville.
Une voix off familière se fait entendre après quelques instants. Le silence se fait alors tandis que le spectateur retourne à sa place. L’Anarchiste parle.
Vous êtes toujours là ?
Si oui, cela veut dire que soit je vous intéresse assez pour que vous continuez à me regarder, soit que vous semblez attiré ou troublé par mes mots, soit que vous voulez me tuer ou soit que vous n’avez plus rien d’autre à faire. Evidemment, je préférerais que cela soit la deuxième proposition. Mais passons, je n’ai pas assez de temps pour faire du mauvais humour avec des gens que je ne connais même pas.
Tiens, je pourrais peut-être répondre à la question que vous vous posez certainement…pourquoi vous ? Pourquoi vous, vous avez reçus ce colis avec cette étrange cassette ? Il n’y a pas de logique à ça. Vous n’êtes que des noms pris au hasard sur Internet. Mais ça ne veut pas dire que je me fiche de vous, et que vous n’êtes que des anonymes. Oh non.
La société pense et veut vous faire croire que vous n’êtes rien, et que votre vie, sur la globalité de l’Humanité, ne vaut rien et est inutile. Dans l’absolu, c’est vrai. Mais est-ce que vous allez accepter ça ? Allez-vous accepter de n’être qu’une statistique toute votre vie ? Allez-vous dire « oui » à ceux qui disent que vous n’existez même pas ?
Vous existez. Vous vivez. Vous êtes des êtres humains, et j’ai besoin de vous, car c’est de vous que tout peut arriver. Mais ce n’est pas encore la question…du moins, pour le moment. Regardez plutôt l’image. Regardez bien, ça a son importance.
Ce qui se trouve devant vos yeux est la parfaite représentation du capitalisme et de la réussite, selon les diktats actuels de notre société. D’immenses et monstrueux buildings impressionnants, abritants les institutions bancaires et les locaux des entreprises les plus importantes. Voila la réussite sociale et économique pour nous, désormais. Etre le patron, ou du moins être employé d’une des plus grandes firmes du monde.
Oh, évidemment, il y en a plein qui manquent. Mais les plus puissantes et les plus fortes sont là. Pour le symbole, la puissance de New York et de Manhattan. Pour dire aux autres « vous êtes forts, mais nous on est à Manhattan ». Pour faire croire au peuple qu’ils sont supérieurs à lui par leurs beaux bâtiments et leur argent.
Bien sûr, c’est faux.
Voici donc, selon moi, la parfaite image de ce qu’on veut nous montrer comme étant le capitalisme.
Il s’agit, pour notre société et ceux qui en tirent les ficelles, de la parfaite réussite sociale et économique que chaque être humain peut espérer, et doit vouloir. En clair, pour réussir sa vie, il faut avoir un bureau avec deux chaises, une table, un fauteuil en cuir Made In Italy et un ordinateur dernier cri permettant d’aller regarder des vidéos pornos sur Internet. Et ce, dans le meilleur des cas, évidemment.
Voila donc la réussite totale pour un Terrien, selon la société. Le rêve ultime, donc. La perfection. L’utopie.
Voila, voila…
Vous avez bien retenus ce que je viens de dire, je pense. Si certains trouvent cela normal, ils peuvent arrêter de suite l’enregistrement et peuvent se lancer à ma poursuite pour m’arrêter. J’ai l’habitude, et je ne veux pas faire perdre du temps à des êtres qui sont trop heureux et impliqués dans la société qu’on nous impose. Mais si certains, si quelques uns d’entre vous trouvent cela choquants et ne comprennent pas comment cela est possible…qu’ils restent. J’ai d’autres choses intéressantes à leur apprendre. Et je suis certain que leurs cœurs, qui se sont serrés à mes précédentes paroles, seront ravis de connaître la signification profonde du capitalisme.
C’est bon ? Vous êtes toujours là ? Parfait.
Ainsi donc, ces buildings, et ceux qui y travaillent, représentent le capitalisme en sa forme la plus élevée pour le moment, hiérarchiquement parlant. Ils sont les véritables maîtres du monde, et peuvent détruire un pays en un appel téléphonique. Ca fait peur, je sais. Mais je sais aussi qu’au fond de vous, vous saviez déjà que c’est vrai. Et vous l’avez toujours su. C’est inné. Une sorte de sixième sens. De conscience, peut-être.
Mais en réalité, cette vision d’immeubles derniers cris et impressionnants…ce n’est pas vraiment le capitalisme. C’est un leurre. C’est ce qu’on veut nous faire prendre pour l’image du capitalisme. C’est la réussite, apparente évidemment, qui doit définir et être le but de cette pensée économique. Mais le capitalisme, ce n’est pas cela. C’est bien pire, bien plus monstrueux et bien plus inhumain que du béton et de l’acier.
Le capitalisme…
L’image change rapidement.
Le spectateur passe de la vision des buildings New Yorkais à un bidonville monstrueusement sale. Des enfants jouent avec des canettes apparemment rouillées. Ils sont habillés en haillons, et ne semblent pas avoir mangés depuis des semaines. Des blessures mal soignées et laides sont visibles sur leurs petits corps, et ils s’arrêtent souvent pour tousser ou respirer lourdement. Des armes traînent sur l’image quand on se prend la peine de bien regarder.
Après quelques secondes, la voix reprend.
…c’est ça.
Le capitalisme, c’est exploiter une population faible et dépendante pour faire construire des grands buildings et se payer des habits Armani et des montres derniers cris.
Le capitalisme, c’est affamer des enfants sous prétexte qu’il n’y a pas de syndicats dans leur pays, que les lois sur le travail des enfants ne sont pas respectées et que le Gouvernement se tait par la corruption.
Le capitalisme, c’est fomenter des guerres civiles pour faire tomber des Gouvernements démocratiquement élus, mais refusant de laisser les grandes entreprises accéder aux ressources naturelles du pays.
Le capitalisme, c’est utiliser les faibles pour engrosser encore plus les forts. Ce n’est malheureusement rien de plus…
Le spectateur se retrouve de nouveau avec l’image des buildings New Yorkais.
La voix de L’Anarchiste met environ une minute à revenir cette fois-ci, certainement pour laisser au spectateur le temps de diriger ce qu’il vient de voir et d’entendre.
Voila ce que représentent réellement ces buildings et ce quartier.
Voila ce que sont réellement le capitalisme et tous ceux qui travaillent à sa supériorité absolue dans le monde.
Pensez-vous que cela soit juste ? Pensez-vous que c’est ce Monde que voulaient nos ancêtres ? Pensez-vous vouloir continuer à vivre sur une planète où les puissants contrôlent les faibles pour qu’ils travaillent jusqu’à la mort pour eux ?
Pensez-vous vraiment que cela soit le destin de l’Humanité ?
Personnellement, je ne pense pas. Je suis même totalement en contradiction avec ce courant de pensée, qui domine pourtant la Terre et notre espèce.
En mon for intérieur, je ne peux croire que les grandes entreprises contrôlent un monde qui ne leur appartient pas. Je ne peux comprendre qu’on laisse une poignée d’hommes condamner des milliers d’autres à des travaux inhumains pour des salaires de misère. Je ne peux accepter ces visions d’hommes et de femmes exploités pour des billets verts et des chiffres imbéciles sur des ordinateurs derniers cris.
Quand je regarde les images de Manhattan et des bidonvilles que vous avez vus…je ne peux rester inactif.
Soudain, les lumières d’un des immeubles en face s’éteignent.
Puis celles d’un autre. Et encore celles d’un autre. Et encore. Et encore.
Après quelques secondes à peine, ce sont cinq immeubles du quartier des affaires de Manhattan qui sont éteints, sans qu’aucune explosion ou attaque violente ne soit visible.
Sitôt cela finit, la voix de L’Anarchiste reprend, plus enjouée et motivée qu’avant.
Et je ne le reste pas.
Je représente l’anarchie. Je représente la révolte du monde et de l’Humanité contre ceux qui l’oppriment et usent d’elle. Je représente le bras vengeur de tous ceux tombés à cause des grandes entreprises et des manipulations politiques. Je représente le ras-le-bol de tous ceux qui en ont assez de se faire contrôler et manipuler par des hommes et des femmes qui ne pensent qu’à leurs profits, quelques soient les conséquences.
Je suis L’Anarchiste.
Et je viens de détruire les données de la deuxième plus grande firme de prêt du monde. Aujourd’hui, des millions d’êtres dans le monde viennent d’être libérés des pixels informatiques (car l’argent n’est plus que cela, malheureusement) qu’ils devaient à des vampires à forme humaine. Simplement en éteignant son système électrique par des explosions en sous sol.
Evidemment, j’ai éteint l’électricité d’immeubles de bureau à côté. Pour qu’on ne sache pas encore qui attaque, et pourquoi. Je dois encore rester dans l’ombre. L’anarchie est forte et brutale, mais elle sait être aussi vicieuse et manipulatrice.
J’ai tout mon temps. L’Humanité a tout son temps. Nous avons tout notre temps.
Certains me prendront pour un fou, un monstre qui condamne des emplois.
Certains me verront comme un allumé de plus, qui a trop regardé Fight Club.
D’autres, enfin, me verront peut-être pour un Sauveur, un Prophète qui annonce le prochain réveil de l’Humanité, avec sa brutalité et sa soif de changement.
Je ne sais pas ce que je suis.
Je ne cherche pas à être reconnu.
Je ne cherche pas la Gloire, ou la Richesse.
Je ne cherche pas à contrôler le monde après ma Révolution. Si vous pensez cela, c’est que vous n’avez rien compris à tout ce que j’ai dis avant.
Je suis L’Anarchiste. Je suis la révolte au fond de vous qui gronde. Et si vous entendez déjà votre esprit gronder et comprendre mes gestes…c’est que c’est trop tard pour vous. C’est que vous vous êtes laissés prendre au jeu de la Vérité. Et que vous n’en sortirez plus jamais.
Alors allez-y, et ne me décevez pas. Ne décevez pas ceux qui croient en vous pour changer les choses. Ne décevez pas une Humanité malade et fatiguée par cette société imposée. Et surtout, surtout…ne vous décevez pas vous-mêmes.
Car nous avons besoin de vous. Vous avez besoin de vous. Agissez. Maintenant. Et que la Révolte gronde…à jamais !