Une sombre fumée d’opium se dégageait de la pièce tandis que j’entrais lentement dans ce petit magasin de Singapour. Rien que l’odeur de la drogue, des épices et des autres produits entreposés dans cette petite pièce sur les docks me faisait craindre le pire. J’entrais dans la maison du Diable, ou de celui qui s’apparentait au Diable. J’entrais dans l’antre d’un monstre qui pouvait me manger comme il le voulait, quand il le voulait. Peut-être d’ailleurs le faisait-il déjà alors que je ne faisais que pousser la porte…
« Entrez, entrez monsieur Constantine… »
Ce mec savait déjà comment je m’appelais alors que je n’avais décidé que quelques secondes avant d’entrer là-dedans…putain, je devrais toujours écouter mon instinct…
« En effet, monsieur Constantine, l’instinct est le meilleur conseiller, surtout mêlé à mes petits produits… »
Sa voix stridente et aigue me fait se dresser les poils de ma peau et mes cheveux tandis que j’entre totalement dans cette foutue boutique. Au lieu de voir un démon rouge poilu avec une queue et des cornes en train de manger des corps humains et de boire du sang, je ne vois qu’un petit asiatique au teint pâle et au sourire forcé. Il porte une sorte d’habit cérémoniel. Merde, ce genre de mecs sont toujours plus dangereux que les vrais démons…
« Que puis-je pour vous, monsieur Constantine ?
- Euh non rien, je vais vous laisser, je me suis trompé d’adresse…
- Je ne crois pas, non… »
Son air ne me plaît pas, et sachant très bien que si je me bats avec lui je perdrais, j’essaye vainement de me retourner et d’ouvrir la porte, mais celle-ci reste close alors qu’aucune clef n’est visible. Putain, je suis dans la merde…
« Je vous attendais, monsieur Constantine, si vous voulez me suivre…
- Euh oui, bien sûr… »
Qu’est-ce que je peux répondre ? Ce type connaît mon nom sans que je lui dise, il semble lire mes pensées et ferme une porte sans clef…je peux que le suivre et espérer vainement qu’il ne me fera pas trop mal, je sais déjà que je vais crever ce soir de merde dans cette foutue ville de Singapour…
L’asiat’ m’amène dans une pièce à l’arrière après être passé devant tous ses produits, allant de l’opium, de différentes drogues et onguents à la vulgaire aspirine. Tout son petit commerce est un parfait fourre-tout où je pourrais facilement retrouver un tampax usagé…putain, je suis gore parfois…
« En effet, monsieur Constantine, je vends beaucoup de choses, mais pas vos petits phantasmes… »
Encore une fois le vieux me fait peur…autant les autres fois j’aurais pu penser à des coïncidences, à l’expérience d’un vieux marchand qui connaît l’effet qu’il fait aux clients et c’était possible qu’il y ait un système pour verrouiller la porte, mais là…c’est trop, je comprends plus rien…
« Tout va s’éclairer, monsieur Constantine, je vous l’assure… »
Au fur et à mesure de nos pas, mes yeux découvrent de superbes merveilles, allant de vases de Chine à des statuettes en or massif ornées de bijoux à couper le souffle…pourtant, tous ces magnifiques trésors sont posés là comme si ils n’étaient rien d’autre que de la pacotille, ces choses sans importance…chez qui je suis tombé ?
Pour une fois, le vendeur ne répond pas à mes pensées, je sais pas si je dois être rassuré ou non…c’est dingue, plus on avance, plus le magasin s’agrandit, alors que j’aurais juré que jamais vu de l’extérieur, ça n’était pas plus grand qu’une cuisine…je deviens dingue, j’en suis sûr…j’aurais pas dû prendre ce que me donnait cette pute hier soir…
Finalement, le vieux m’amène dans une petite pièce derrière tous les trésors et tous les produits qu’il vend. Il m’invite à y entrer en premier, et comme il me fait plus peur que John Travolta sur une piste de disco, je rentre bien sûr…et je suis impressionné.
Putain, mais c’est quoi cet endroit ??? Après une pièce qui s’allonge, des trésors impressionnants traités comme des trucs en plastique, un vieux étrange qui lit mes pensées, voila que je tombe dans une sorte de caverne !
C’est une sorte de création rocheuse avec des petites bougies posées dans les petites sinuosités de la roche un peu partout. Elles sont minuscules, mais bon je vois peut-être mal, elles semblent si lointaines…et il y en a tellement ! Facilement une bonne centaine, si pas plus…
En plus de cela, il y a un grand escalier qui descend de là où je me trouve vers une sorte de petite plate forme (putain y a que du vide autour de moi !!!) où y a plusieurs chaises…merde, mais c’est quoi ce délire ? Où on est ?
« Descendez, monsieur Constantine, je vous dirais tout… »
Rapidement mais prudemment, je veux pas tomber dans le vide je sais même pas où ça va et cette couleur orangeâtre au fond j’aime pas, j’obéis et après quelques instants on arrive à la petite plateforme qui tient je ne sais comment. Le vendeur s’assoit sur une des chaises et m’invite à prendre celle en face de lui. Quand ce fut fait, il parla d’une voix plus douce mais toujours stridente.
« Monsieur Constantine, la raison pour laquelle j’arrive à savoir ce que vous pensez et comment j’ai pu fermer la porte est que je suis un Sorcier.
- Un quoi ?
- Un Sorcier. Allons, monsieur Constantine, vous n’allez pas me faire croire que vous, un agent du FBI spécialisé dans les problèmes occultes et surnaturels n’êtes pas informé de la présence sur la Terre de Sorciers, d’êtres aux pouvoirs exceptionnels voués au Bien…ou au Mal.
- Non, non, je sais bien cela, même si on me croit souvent fou…mais pourquoi me dites-vous cela ?
- Parce que j’ai besoin de vous.
- Vous avez besoin de moi ?
- J’ai besoin de vous. »
L’asiatique fit un petit sourire qui me glaça le sang.
« J’ai besoin de vous pour sauver le monde en faisant l’Apocalypse.
- Quoi ??? »
Ce type est complètement fou…je dois vite me barrer d’ici et tenter de le mettre hors d’état de nuire…enfin, je ferais ça si je pissais pas de trouille dans mon pantalon…
« Je ne suis pas fou, non. Monsieur Constantine, de dangereuses forces attendent la Terre, prêtes à la prendre en leurs mains impures et à la détruire comme on écrase une fourmi. Nous ne désirons pas cela, n’est-ce pas ? Je vois dans votre regard que non.
- Non, bien sûr…
- Il faut un protecteur à la Terre, quelqu’un qui pourrait faire assez peur à ces forces pour les empêcher d’attaquer notre belle planète. Je fus depuis très longtemps cet être, mais je suis trop vieux et mes ennemis le savent, ils vont bientôt m’attaquer et me tuer…il me faut un remplaçant, un successeur…
- Vous…vous me voulez comme successeur ? »
Je deviens fou…qu’est-ce qu’il me raconte ? C’est trop dingue pour être vrai, mais j’ai vu tant de choses…et si il avait raison ? Et si c’était vrai ? Je dois sauver la Terre, j’en suis capable, je…
« Non, monsieur Constantine. Vous êtes trop vieux et pas assez doué pour cela. Non, vous allez servir un autre dessein.
- Lequel ?
- Dans quelques temps, j’entrerais en contact avec le futur Sorcier Suprême de la Terre, et je donnerais ma vie pour le préparer, mais cela ne sera point assez. Bien sûr, il vaincra mon assassin, mais les forces qui me font peur ne seront point inquiétées par quelqu’un qui arrive à vaincre un démon presque mineur…non, il faut qu’il arrête une autre menace pour remplir son rôle.
- Une autre menace ?
- Oui, quelque chose de plus grand. L’Apocalypse, la fin des Temps, Ragnarok, enfin vous voyez de quoi je parle…le grand boom, comme disent les jeunes.
- Mais…mais…que puis-je pour vous ? Quel sera mon rôle ? Que vais-je devoir faire ?
- Plus rien, mon ami…monsieur Constantine, je suis désolé de faire cela, mais dès que vous êtes entré, je vous ai lancé un sort et vous mourrez à petit feu…
- Hein ? »
Merde, je me disais bien que je me sentais pas super…qu’est-ce qu’il m’a fait ? Qu’est-ce que m’a fait ce fou ? Je veux me lever, le frapper, mais mon corps me répond plus…
« Vous êtes paralysé…je suis vraiment désolé, mais la Terre exige des sacrifices… »
Le vieux se lève et sort un couteau…il l’approche lentement de ma gorge, et d’un coup sec, m’égorge en psalmodiant quelques syllabes incompréhensibles…ce fut si rapide, si violent, que je me rends même pas compte que je meurs…si il n’y avait pas cette douleur et cette sensation étrange et douloureuse d’étouffer par son propre sang, je me dirais presque que tout va bien…
Alors que la Mort me submerge, alors que mes yeux s’abaissent, je peux voir un grand cercle rouge vertical s’ouvrir devant l’asiatique, et celui-ci parle au cercle…mais…ah, je vois plus rien…mais j’aurais parié qu’il y avait quelqu’un, quelqu’un qui le vieux appelait « Stan »…ou un truc dans le genre…bah, après tout, alors que je meurs, que je ne sens plus rien et que mon corps refroidit, en quoi cela peut-il me préoccuper ?