« Et mes yeux tombèrent sur la figure de l’homme, et sa figure était pâle de terreur. Et précipitamment il leva sa tête de sa main, il se dressa sur le rocher, et tendit l’oreille. Mais il n’y avait pas de voix dans tout le vaste désert sans limites, et les caractères gravés sur le rocher étaient : Silence. Et l’homme frissonna, et il fit volte-face, et il s’enfuit loin, loin, précipitamment, si bien que je ne le vis plus. »
Edgar Allan Poe, Silence .
Les eaux du Lac Michigan étaient sombres et safranées dans la lumière du couchant, inondant les buildings de verre et d’acier qui surplombaient de leur apparente suprématie, la ville et ses entrailles . Était assis sur un banc gelé en face de la paisible étendue aqueuse, un homme couvert d’un imperméable aux teintes brunes, le visage caché par des bandages usés et vétustes, ne laissant paraître que sa bouche et ses yeux d’une tristesse accablante . Il semblait lire un petit livre recouvert d’une fine couverture en cuir, dont les pages jaunies étaient couvertes d’une écriture dactylographiée, aux minuscules caractères noircis . Une légère brise hivernale faisait frémir les feuillettes fragiles et cassantes, prêtes à se déchirer à la prochaine bourrasque mais la poigne gantée du lecteur tenait fermement l’ouvrage, parcourrant de son regard las les vers d’un dénommé Baudelaire . Il tenait là un recueil du célèbre poète français, dans sa langue maternelle, bien évidemment, et ces mots sur la note semblait toucher le lettré au plus haut point . Après avoir tourné les pages pendant quelques instants, il referma le volume et le rangea dans la poche de son manteau . De celle-ci, il sortit une photographie récente, celle d’un homme chiquement habillé, le sourire au lèvres, le parfait homme d’affaire en somme . Il sortit un crayon de bois et griffonna quelques mots au verso de l’image puis la rangea avant de se lever .
Tom Crone était le principal actionnaire d’un célèbre groupe financier de L’Illinois dont le siège se trouvait dans le prestigieux quartier des affaires de Chicago . Père de deux enfants et époux attentif, il faisait le bonheur de sa famille et de ses amis . Qui aurait put penser que ce membre émérite de la haute société Chicagoenne, en plus de tremper dans des affaires louches, avait abusé d’une gamine de douze ans et l’avait jeté comme un vulgaire déchet dans les ruelles reculées d’un quartier ethnique oublié il y avait quelques jours de cela ? Mais peu importait pour lui, en vérité . Cette fillette, il l’avait déjà oublié au moment où l’un de ses gardes du corps avait balancé le corps désarticulé par la fenêtre de la limousine de son patron . Oui, cela n’était plus au goût du jour et Tom, assis dans son siège tout en haut d’un impressionnant gratte-ciel, pensait au nouvelles actions qu’il allait acheté à la bourse de Montevideo le lendemain ou aux nouvelles putes hongroises qu’il avait « commandé » pour ce soir . Comme tout les soirs, il appellerait sa femme pour lui dire qu’il rentrerait tard dans la nuit à cause du travail et comme d’habitude, son épouse le croirait . Il sourit en pensant à la crédulité de sa femme, qui dormirait seule, une fois de plus, dans le grand lit marital . Enfin, pas si seule que cela puisque le jardinier mexicain, engagé il y avait un mois, s’occuperait activement de le remplacer et de porter compagnie à l’épouse bafouée . D’ailleurs, le téléphone resta muet lorsque Tom appela au domicile . Tant pis, après tout, ce n’était pas si grave . Avec jovialité, le PDG quitta son fauteuil moelleux et se dirigea vers la sortie de son bureau .
Éric Kline était le garde du corps qui s’était débarrassé du cadavre de la petite violée par son patron . Il était au service de celui-ci depuis cinq ans déjà et cumulait les emplois de chauffeur, garde du corps et homme de main . Du haut de ses deux mètres et de son passé de marines, Éric n’avait peur de personne et savait être persuasif face aux journalistes un peu trop bavards . En plus d’être bien payé, le colosse jouissait d’une situation privilégiée au sein du business local ainsi que d’un certain prestige auprès des gangs . Il était le bras armé du célèbre homme d’affaire et son intime et vivait tout cela sans l’ombre d’un scrupule, profitant des générosités de son patron et du pouvoir qu’il lui donnait et qui lui ouvrait les portes d’un autre monde, celui de la mafia, de la drogue et du sang . En tapotant sur le bord du volant, il attendait son patron, arme à feu dans la boite à gants, sachets d’héroïne cachés dans les portières, prêt à démarrer pour rejoindre une maison close que fréquentait beaucoup de hautes personnalités pour assouvir leurs fantasmes secrets . Enfin, la portière de la limousine s’ouvrit pour laisser entrer le riche boursier, costar gris et lunettes noires . Le moteur ronronna lorsque Éric tourna la clef de contact puis appuya sur la pédale de vitesse . Une jolie soirée était prévue en perspective .
Il était là, seul, dans le noir et observait en finissant sa cigarette la grande limousine noire au nom de Tom Crone filer dans l’obscurité . Une fois qu’elle eut disparu, il se saisit d’une mallette posée négligemment contre un lampadaire et suivit les traces de la voiture en marchant tranquillement . Il savait exactement ce qu’il avait à faire et la façon dont il s’y prendrait . Dans sa mallette se trouvait une panoplie de scalpels et autres instruments chirurgicaux qui ferraient office d’une bien autre manière que l’usage habituel . Comment s’appelait cette petite fille violée et sordidement jetée dans les poubelles ? Quelle âge avait-elle ? Qui étaient ses parents ? Il n’avait pas de réponses à ces questions mais cela ne l’empêcherait pas de mettre son plan à exécution . Enquêter sur cette affaire n’avait pas été de tout repos et il avait dû ôter beaucoup de vies, parfois des vies innocentes .
Non, personne n’est innocent, même pas lui, surtout pas lui . Tuer ne lui pose pas de problèmes et il s’applique à donner la mort, tel Thanatos, l’ange de la mort, terrifiant et omniprésent . Il est comme lui, il donne la mort car cela doit être fait . Oui, ce soir du sang va être versé, beaucoup de sang en vérité . Un massacre de prévu ? Une justice de rendue ? Non . Il n’est pas l’exécuteur d’une cause . Il n’a pas de prétention, ce n’est pas un envoyé du divin . Il ne fait parti d’aucune organisation . Ce n’est pas un justicier non plus . Non, les justiciers l’ont toujours fait rire . Il a tout simplement décidé que ce soir, Tom Crone va mourir dans d’horribles circonstances autant pour ce qu’il a fait que pour ce qu’il représente et pour ce qu’il offre en perspective .
La limousine noire s’arrêta devant un grand bâtiment d’une époque lointaine, datant de l’âge d’or de la révolution industrielle, seul vestige de temps glorieux à présent révolu . La portière s’ouvrit pour laisser sortir un homme en costar et en lunettes noires, Tom Crone . Il se dirigea vers deux montagnes de muscles qui gardaient l’entrée de l’immeuble . Éric ne tarda pas à le rejoindre . Après une rapide vérification d’identité, les deux gardiens les laissèrent entrer . Une hôtesse en petite tenue les accueillis dans un couloir aux murs pourpres . Son accent prononcé traduisait son origine slave . Elle mena les deux clients dans un espèce de grand salon richement décoré aux allures napoléoniennes, resplendissant de splendeur . Un peu partout disséminés dans la spacieuse pièce, Tom reconnut le PDG de Hyde Industries, un politicien de l’opposition et une ribambelle d’autres personnes importantes . Puis Tom fut conduit à un escalier du dix-neuvième siècle qui donnait lieu à un étage comptant une dizaine de chambres . L’hôtesse poursuivit son chemin, s’arrêtant au bout de l’étage devant un ascenseur . Les portes métalliques s’ouvrirent sur six adolescentes nues, occupées à des jeux sexuels entre elles . Tom sourit et entra dans l’ascenseur . Son garde du corps voulut le suivre mais il le stoppa avec un sourire :
-Pas cette fois, Éric . Ces gamines sont à moi et à moi seul . Tu m’attendras dans le salon .
Éric hocha la tête silencieusement tandis que les portes se fermaient . Il jeta un regard à l’hôtesse, une jolie blonde ukrainienne shootée à l’héroïne . Elle posa ses doigts sur son torse avant de le prendre par la main et de l’entraîner dans une des vingt chambres de l’étage .
Ce bâtiment était donc le lieu de débauche où il allait effectuer son travail . Ses pas l’avait conduit ici comme par magie . Son instinct ne le trahissait jamais . Lentement, il se dirigea vers les deux gardiens, mallette à la main droite, poing gauche serré . En un mouvement d’une rapidité féline, il abattit son poing sur la figure d’un des deux hommes qui s’écroula net, le visage en sang . Un puissant coup de pied dans le ventre fit vaciller le second qui tomba sur le bitume . D’un geste il leur rompit la nuque avant de pousser les portes de l’immeuble . Une brune quasiment nue, le regard vitré par des produits illicites, l’accueillit avec un sourire niais . Un poing dévastateur la mit K.O . Lorsque trois hommes de mains armés de matraques firent irruption devant lui, il sortit de sa poche un long scalpel à la lame acérée . Avec un sourire, il se jeta sur ses adversaires, les entraînant dans une danse sans fin qui les enverraient en enfer . Il lui suffit de quatre coups pour les clouer à jamais au sol, baignant dans leur propre sang . Puis il poussa les portes du grand salon où régnait un brouhaha malsain où se mêlaient conversations politiques et cris d’extases sexuelles . Sans prendre garde aux regards qui le fixaient, il poursuivit sa route et traversa la salle jusqu’à l’escalier qui menait au premier étage . Lentement, il gravit les marches couvertes de velours . Il savait exactement par qui commencer .
Éric avait pris son pied avec cette fille . Pour son jeune âge, elle se débrouillait vraiment bien et savait contenter ses moindres désirs sans qu’il ait à les exprimer . Elle finit par se décoller de lui avec une lenteur emprunte d’un désir brûlant et intense . Elle en voulait encore . Avec un sourire carnassier, Éric la saisit par les cheveux et l’embrassa avec fougue puis il la contempla un moment, comme on observait une proie prête à être mise à mort . Cette fille était si fragile, si faible, une pauvre créature sans défense, aussi jolie qu’innocente .
-C’est vrai … Elle à l’air si innocente .
Éric se retourna en une seconde et, sans réfléchir, se précipita sur son arme à feu . Mais il ne trouva que du vide sur le petit buffet où il l’avait déposé . Un cliquetis familier se fit entendre prêt de sa tempe et il sentit le canon froid de son 9mm effleurer sa peau .
-Qui es-tu ? Murmura-t-il .
-Tu parles trop, un peu de silence te ferrais du bien .
Au terme de ces mots, une détonation se fit entendre, sourde et froide, étouffée par le silencieux vissé au bout de l’arme . La boîte crânienne du garde du corps vola en éclats et des bouts de cervelles s’éparpillèrent sur le lit . Le canon se dirigea presque tout naturellement vers la jeune slave, apeurée, recroquevillée sur elle-même, au bord du lit . Elle n’eut même pas le temps de pousser un cri qu’une balle se logea entre ses deux yeux . Avec une lenteur professionnelle, il déposa le pistolet sur la table de chevet et sortit .
La jeune hongroise répondant au nom de Natacha défit la ceinture du pantalon de Tom tandis que deux de ses amies s’occupaient à le détendre en l’embrassant et en le caressant . Avec des gestes répétitifs et saccadés, la jeune adolescente commença un long va et viens, jouant de ses doigts frêles avec le membre de son client . Celui-ci, en pleine jouissance sexuelle poussait de rauques gémissements . Au fur et à mesure que la fréquence des va et viens augmentait, Tom se sentait prêt à exploser et d’un regard lubrique, observait la petite Natacha activement affairée . D’un geste brusque, il l’attrapa par les cheveux et la tira avec férocité vers lui . Avec une bestialité animale, l’homme d’affaire la pénétra ne se préoccupant pas des cris de douleurs de sa jeune amante . Elle était à lui, sa propriété et ne disposait d’aucun droit, simple objet sexuel sans valeur qui n’était rien de plus qu’une esclave . La férocité avec laquelle il la possédait n’était pas sans rappeler l’animalité qui résidait en lui et qui ne demandait qu’à sortir .
Un bruit sourd derrière lui le força à arrêter ce qui n’était pas moins qu’un viol et à se retourner . Devant lui, un homme habillé d’un imperméable brun tâché de sang, le visage masqué par des bandelettes jaunies et pendantes . Ne trouvant que dire, Tom recula tandis que les prostitués se blottissaient les unes contre les autres dans un coin de la pièce, tel du gibier traqué . L’inconnu soupira et posa sa mallette sur le bord du lit, à quelques mètres d’un Tom Crone aussi effrayé que ses esclaves de l’est . Lorsque il sortit de sa mallette un scalpel acéré, le PDG frémit et recula tant et si bien qu’il heurta le mur de plein fouet . Il voulut crier, appeler au secours, mais aucun son ne sortait de sa bouche sèche, comme si ses cordes vocales étaient paralysées . Avec un sourire, l’intrus dit sans un regard pour ses interlocutrices :
-Dégagez, et vite .
Cet ordre, impératif et indiscutable ne laissèrent aucunes opportunités aux jeunes femmes de refuser et en un éclair, elles quittèrent la pièce, laissant leur client seul et désemparé . Celui-ci transpirait à grosses gouttes, toujours figé par la peur . Le sombre inconnu semblait se jouer de cette peur et, tout souriant, s’amusait avec son scalpel en l’approchant du visage de sa future victime . Sachant sa fin proche, Tom tenta de marchander avec l’assassin . Retrouvant sa voix, il dit précipitamment :
-Écoutez, on peut s’arranger ! Je suis plein aux as, je peux vous offrir tout l’argent que vous souhaitez !
-Pas de marchandages, Crone .
-Qu’est… qu’est ce que vous me voulez ? Je… Pitié !
-Pas de pitié, Crone .
Qui était ce malade sorti tout droit d’un obscur thriller ? Tom, saisissant sa dernière chance d’échapper au psychopathe, se jeta vers la porte pour s’enfuir mais la poigne solide de l’homme le stoppa net dans son élan . En à peine quelques secondes, son bras fut broyé par la puissance musculaire de son adversaire . Celui-ci le plaqua contre le mur avec violence alors qu’il se mordait les lèvres pour ne pas crier de douleur . D’un geste précis et sans bavure, l’homme masqué planta sa lame dans le pantalon de l’homme d’affaire, au niveau de son entre jambe . Le métal froid frôla ses parties génitales, prêt à les trancher . Des gouttes de sueur perlaient sur le front de Tom qui, sans le vouloir, était en train de s’uriner dessus . Son regard croisa celui de son futur meurtrier, presque sans le vouloir et ce qu’il y vit sembla l’effrayer au plus haut point . Tout était fini, tout était perdu . Un hurlement déchirant sortit de sa bouche tandis qu’il se débattait comme un beau diable pour échapper à son agresseur, mu par la terreur qu’il lui inspirait .
-Silence .
La lame du scalpel fit un écart et trancha les parties du PDG . Puis avec une lenteur malsaine, elle remonta le long chemin qui menait au cœur, tranchant l’épaisse peau du ventre comme du beurre, le sang chaud se répandant sur elle . Tom, des larmes coulant sur ses joues, resta muet pendant quelques instants avant de s’écrouler par terre, convulsait par des spasmes de douleur . Avec un machiavélisme morbide, le meurtrier trempa le bout du drap dans le sang de Tom, agonisant, et dessina sur le mur immaculé ces quelques mots : Silence . Tandis que le sang coulait sur les aspérités du plâtre, le criminel sortit de la pièce en laissant entrouverte la porte défoncée .