« Une troupe de mercenaires est apparue en ville. Ils veulent votre peau.
- Je sais.
- Et que comptez-vous faire ? Ces types là sont pas commodes. Ils travaillent pour Leonid Kovar, le successeur quasi-officiel de Neil Richards depuis la mort de Salvador. En plus, on parle d’une possible alliance entre les russes et les chinois.
- Ca ne me fait pas peur.
- A moi, si.
- Rien ne vous oblige à me suivre, Victor. »
Victor Stone, géant afro-américain d’une vingtaine d’années, soupira. Son œil valide scruta le masque du Vigilante, la nouvelle figure de proue de l’héroïsme californien. Depuis la mort des Titans, celui que la presse avait surnommé Cyborg vivait dans un deux pièces minable, sans eau chaude, à l’angle de Mansell, au cœur de Bayview. Les efforts du maire précédent pour rénover le quartier étaient tombés à l’eau du fait de la guerre des gangs, provoquée par le sinistre Joey Wilson. Les habitations se détérioraient et les immeubles tombaient en ruine. De plus, les gangs avaient réinvestis les rues, au grand dam de la population locale et de Victor. Celui-ci était maintenant forcé de continuer ses activités de justiciers pour protéger ses amis, ses voisins, ses frères, contre eux-même. Alors qu’il pensait sa vie super-héroïque belle et bien terminée, il avait été obligé de reprendre du service. Il avait grandis ici avant d’aller vivre à Sacramento, chef-lieu de Californie. C’était un peu son chez lui et il ne laisserait personne le détruire, pas même les voyous qu’il avait connu tout petits.
Ces gosses étaient partis en vrille par faute de moyens et de patience pour les faire sortir de la misère. En échec scolaire, détruits par le système, ils avaient été des proies faciles pour les recruteurs des troupes de la rue. Les blancs s’étaient retrouvés incorporés dans des groupes néo-nazies, les noirs et les hispaniques, dans la mafia ou dans les gangs de rue à racketter ou même pire. L’école publique, dénuée de tout investissement, ne pouvait même pu prétendre au titre de solution. Ruinée, elle n’offrait rien d’autre qu’un apprentissage des modalités de l’échec. Même les associations privées ne pouvaient enrayer ce long accroissement des violences et ce cycle sans fin d’auto-destruction. Seul face à ce raz-de-marée, Victor n’avait d’autres choix que de lutter, souvent vainement, et faire comprendre aux jeunes que l’espoir existait encore. Il avait d’ailleurs ouvert avec Mal Duncan, son ancien indic, une salle de boxe. Un ancien boxeur, Ray Palmer, leur avait prêté main forte et ils avaient remporté un vif succès auprès du public. De nombreux jeunes gens venaient s’inscrire et l’association comptait maintenant trente-sept inscris. Ce succès venait en parti du fait que l’inscription était gratuite, le tout étant financé par l’ancien capitaine de police Hank Hall et d’autres personnalités de la ville. Hank leur donnait d’ailleurs un coup de main au niveau de l’entraînement, ayant un passé de boxeur amateur et un coup droit réputé.
Bien sûr, Hank avait reconnu Victor dés la première seconde où ils s’étaient croisés. Les anciens ennemis avaient alors sympathisés, presque naturellement. Après tout, ils étaient du même bord et relégués tout deux au second plan. Le trio avait retrouvé un peu d’espoir dans cette nouvelle activité. En parallèle, Victor jouait toujours au samaritain dans le quartier où tous le connaissait. Appuyé par ses deux amis, il réussissait à éviter que le sang ne coule et à offrir aux jeunes une autre voie que celle du crime. Mais Victor n’était pas dupe. A eux trois, ils n’étaient pas grand chose. Mais c’était mieux que rien et ça permettait à l’ancien athlète, à l’ancien flic, et à l’ancien indic de ne pas se sentir inutile.
« Ca n’est que provisoire. Et vous le savez. J’ai bien l’intention de ne pas me contenter de ce club de boxe. Je veux faire plus pour…
- Arrêtez. Vous vous faîtes du mal pour rien. Vous savez pertinemment que rien ne changera ici. Si vous souhaitiez vraiment que Bayview se relève, si vous voudriez vraiment resté ici, vous ne m’auriez jamais supplié de vous donner ces dossiers concernant la disparition de vos parents…
- Vous vous foutez de moi ! C’est vous qui m’avez fais chanté à propos de ces fameux dossiers dont je n’ai jamais vu la couleur. Vous avez besoin de moi mais ce n’est pas pour les dossiers que je vous aide. C’est pour San Francisco.
- Alors pourquoi ne pas avoir parlé à vos amis de notre entrevue si ce n’était pas dans vos intentions de vous barrer d’ici et de vous venger de ceux qui ont détruit votre vie ? »
Le Vigilante croisa les bras sur son torse. Sa veste était tâchée d’un sang noir et cela lui donnait une allure franchement inquiétante. Pourtant, ces intentions semblaient nobles. Débarrasser San Francisco du crime. Mais ses méthodes étaient loin d’être propres et Dieu savait combien de morts il avait déjà laissé derrière lui pour arriver à ses fins. Ce n’était d’ailleurs pas pour la soif de justice que Victor s’engageait dans son combat. Ce n’était qu’un prétexte. Le justicier expéditif avait raison. Il souhaitait la vengeance et rien d’autre. Dick lui avait promis de retrouver ce qui l’avait transformé et brisé sa vie, c’était même la raison pour laquelle il avait fais parti des Titans. Mais jamais il n’avait eu gain de cause. Dick lui avait menti. Tout comme Tula lui avait menti. Et bien qu’il soit sceptique sur la fiabilité des soit-disant « dossiers » du Vigilante, il était prêt à tout pour se venger. Sa carcasse sans âme ne demandait que ça. Voyant son désarroi, le Vigilante crut bon d’ajouter :
« Je vais vous donner un indice concernant ceux qui vous ont robotisé. L’un des faux sélectionneurs de l’équipe de Philadelphie s’appelle Jake Kane et il vit dans un état commençant par la lettre C.
- Qui me dit que vous ne me mentez pas. Allons, si vous ne saviez pas que j’ai ce dont vous rêvez, vous ne seriez pas là à discuter avec moi, dans ce gymnase. »
Victor soupira encore une fois. Ce Vigilante lui tapait sur les nerfs à croire tout savoir. Et surtout, à avoir souvent raison.
« Je vais vous aidez, c’est bon. De toute façon, vous le saviez déjà, pas vrai ?
- Exact. »
Le Vigilante sourit sous son masque. Victor allait être un allié non négligeable dans sa lutte pour la survie. Même si il n’en montrait rien, le fait que des tueurs aussi redoutables veuillent sa peau l’angoissait.
« Donc, j’assure votre protection jusqu’à ce vous ayez… éliminé Kovar et Choo, et vous me donnez les noms de ceux qui m’ont fais… ça ? »
Victor désigna son corps. Le Vigilante acquiesça puis ajouta :
« Bayview sera une bonne base de replis tant que vous sécuriserez la zone avec vos trois copains. Ici, je pourrai élaboré mes plans sereinement.
- Bien. »
Le Vigilante était louche et ne lui disait pas tout. Mais ce n’était pas son problème. L’esprit de justice l’avait quitté. Alors que Victor s’éloignait, mettant un terme au rendez-vous nocturne entre les deux hommes, le Vigilante lui lança dans l’ombre :
« Merci. »
*
Grant observait le corps décapité de sa nouvelle victime. Il lui avait arraché les bras, la tête et les jambes. Cela ne l’impressionnait même plus. Il avait réitéré l’expérience sept fois et cette septième fois avait un goût de déjà-vu. Son autre lui-même avait tendance à innover, certes, mais son oeuvre finissait pas se limiter. Il aimait faire dans l’impulsivité sauvage, « l’arrachage », le déchiquetage et autres sucreries de ce genre étaient ses spécialités. C’était lassant et Grant avait toujours droit au même spectacle à chaque fois qu’il se réveillait et reprenait le dessus sur « l’autre ». C’était du sang partout, des boyaux ici et là et des membres éparpillés dans les lieux insolites qu’il se trouvait pour exécuter et violer ses proies, le plus souvent de sexe féminin. Aussi lança-t-il à son double maléfique, à voix haute :
« Tu devrais innover, mon vieux. »
Cela faisait à peu près trois semaines que Grant avait pris conscience de sa double personnalité. Aussi se permettait-il une certaine arrogance envers son autre lui-même. Celui-ci voulait profiter de sa faiblesse de caractère pour le terroriser, mais cela n’avait marché qu’un temps. Maintenant, que pouvait-il arrivé de pire à Grant ? Si ce n’est de continuer ses meurtres. Le mieux pour lui et pour les autres aurait été de se livrer à la police mais à peine y pensait-il que son double le lui interdisait, le menaçant de nombreuses manières, mais jamais de réels supplices. Sans Grant, il n’était rien, et cela, le commissaire de San Francisco l’avait très bien compris.
« Encore en train de comploter contre moi, Grant ?
- Je ne vais même pas te répondre vu que tu lis dans mes pensées.
- Non. Je ne lis pas dans tes pensées. Je suis tes pensées.
- Si tu le dis.
- Quand comprendras-tu que je suis toi ? Tu me prends pour une sorte de virus ou quelque chose dans ce genre. Mais je ne suis que la manifestation de ta psyché, mon… vieux.
- On vit dans un monde où des mutants peuvent contrôler les pensées des autres alors arrête de te foutre de moi, tu veux ?
- Ne me parle pas sur ce ton ! »
Une violente douleur assaillit Grant qui se plia en deux.
« Je suis ton maître, pauvre humain imbécile ! Ton maître ! Tu comprends ? »
Grant plissa les yeux. Cette ordure était son maître, hein ?
« Prouve-le, alors ! »
Grant saisit un carreau de verre brisée de l’entrepôt désaffecté où avait eu lieu le crime. Il se le mit alors sous la gorge. La douleur était encore plus vive mais il parvenait à garder le dessus sur l’ordure qui se cachait en son sein. Ses dernières pensées conscientes lui permettait de faire cet effort ultime. On l’avait toujours considéré comme un lâche, un moins que rien. Un faible. Il se prouverait le contraire.
« Arrête ça !!!! »
Sa main tremblait et le verre appuyait de plus en plus sur sa gorge. Il était plus courageux que la chose dans sa tête le pensait.
« Qu’est-ce que… tu vas… faire ? Hein ?
- Ca ! »
La voix avait hurlé et Grant sentait son cerveau bouillir. Mais il devait faire abstraction de sa souffrance. Il roula sur lui-même face à cette dernière, s’écorchant sur le verre en miette et criant comme un forcené. Mais le combat intérieur fut de courte durée. Grant fut terrassé et s’évanouit. Il avait perdu. Et définitivement. Qui sait ce qu’il se réserverait à lui-même.
L’autre émergea et un sourire se dessina sur son visage. Un sourire diabolique. Il avait faim et les proies ne manquaient pas à San Francisco.
*
« Vous avez fais les analyses du sang sur ces foutus bouts de verre ?
- Oui, inspecteur.
- Et ? »
Patricia Trayce observait l’expert scientifique. Des gouttes de sueur perlaient sur sa peau et son regard paniqué scruté le visage de son interlocutrice et du lieutenant Stein. Ce dernier montra son impatience devant le silence de l’homme. Apparemment, il refusait de dévoiler l’identité du propriétaire sanguin. Stein frappa sur la table. Lui, si stoïque, paraissant d’un calme olympien d’habitude, fit sursauter, et l’expert, et son inspecteur.
Trayce n’avait, quant à elle, plus la force d’interroger cet employé réticent. Éprouvé par ce l’enquête qui s’éternisait et la liste du nombre des victimes qui s’allongeait de jour en jour, elle ne s’était toujours pas remise du diagnostic de son ami Adrian Chase. On le disait condamné. La balle qui avait atteint sa tête avait put être retirée par miracle, mais les séquelles ne lui laissait qu’une espérance de vie limitée et surtout, il était condamné à sombrer dans la folie, au fur et à mesure que ses neurones disparaissaient. Adrian n’avait pas voulu le lui révéler tout ceci et avait d’ailleurs disparu. Mais en bonne fouineuse, elle était parvenu à se procurer son dossier médical et y avait appris cette bouleversante vérité. Que deviendrait son blondinet rebelle préféré ? Elle avait peur pour lui, surtout qu’il n’était ni à son appartement, ni nulle part ailleurs. Il semblait avoir quitté la ville. Morte d’inquiétude, Trayce n’en dormait plus la nuit.
La voix brutale de Stein la rappela à la réalité.
« Nom de Dieu, Dunski ! A quoi vous jouez ? Vous croyez que vous pouvez vous permettre de ne nous cacher quelque chose ?
- Je… je ne sais pas si… c’est à vous que je dois révéler ça. »
C’était quelqu’un d’important. Quelqu’un d’important était dans le coup. Merde. Stein attrapa Dunski par le col.
« Vous ne nous faîtes pas confiance ? Bon sang, depuis quand vous travaillez avec nous ? Quatre ans ? Cinq ans ?
- Six ans, monsieur.
- Alors dîtes-nous tout ! »
Dunski toussota puis retira ses lunettes.
« Et bien… Ce sang a été comparé avec celui de Trinidad Santiago et le test a été négatif.
- Rien de bien nouveau. Et les autres suspects . Les témoins ?
- Et bien, ça n’a rien donné non plus.
- Mais vous avez eu des résultats ?
- Et bien… oui. Nous avons fais des comparaisons avec les membres de… de la police.
- Et pourquoi ça ?
- Ordre supérieur.
- Et ?
- Et alors nous avons trouvé le coupable.
- C’est un flic ? Quelqu’un de mon équipe ? »
Le scientifique regarda Harry d’un air éberlué.
« Mais, lieutenant… C’est vous le coupable ! »