L’endroit était miteux et puait la friture et l’urine. Enchaînée dans l’ombre, Marcia tremblait et ses yeux affolés observaient son ravisseur avec haine et terreur. Cet homme était tout simplement fou. Lorsqu’elle était rentrée chez elle, un gâteau acheté à la pâtisserie française qui faisait l’angle de la rue dans les mains, elle avait découvert la porte entre-ouverte. Intriguée, elle s’était dépêchée de rentrer, avait déposé le gâteau dans l’entrée, puis s’était ruée dans le salon. Mais il n’y avait aucune trace de vie. Aussi s’était-elle dit qu’elle avait sans doute oublié de fermer la porte en sortant, chose qui lui arrivait fréquemment. Elle avait la tête ailleurs et pensait à son « blondinet » comme elle l’appelait. Adrian s’était quelque peu repris depuis l’accident et avait réemménager chez lui, mettant un terme à la collocation établie avec la journaliste. Paradoxalement, ce changement de lieu de vie survenait au moment où leur relation s’étoffait un peu plus, laissant deviner des jours meilleurs à venir. Marcia avait été confiante quand à l’évolution psychologique d’Adrian et avait presque convaincu l’ex policier de se faire suivre par un psychiatre. Elle savait qu’elle viendrait à bout des réticences de l’homme pour qui elle avait tout fait.
Mais à rêvasser de jours heureux dans le canapé, elle n’avait pas vu la silhouette se faufiler derrière elle et son cœur avait fais un bond dans sa poitrine lorsqu’elle avait senti le métal froid d’un couteau contre sa gorge. Elle avait immédiatement pensé à un voleur mais l’attitude de l’intrus lui avait laissé présager le pire. En effet, ce dernier l’avait ligoté sans un mot, puis bâillonné, avant de sortir d’un sac à dos une cisaille de jardinier. Elle avait sentit qu’un sourire cruel se dessinait sous sa cagoule de cambrioleur. Et elle avait eut peur. Il avait saisi sa main gauche. Marcia s’était débattue, mais en vain. L’auriculaire avait cédé facilement aux assauts brutaux des deux lames. La douleur fut telle qu’elle avait hurlée malgré le bâillon. Un coup de poing d’une violence rare l’avait rendu groggy pendant quelques minutes, avant qu’il ne découpe son annulaire. Le sang avait giclé sur le tissu noir de la cagoule de son agresseur qui eut du mal à réprimer un rire sadique. Des larmes avaient alors inondé ses joues et des piaillements avaient traduis une souffrance folle. Il avait terminé sa besogne par le majeur. Elle s’était alors évanouie.
Ce fut pour se réveiller dans cette pièce sans lumière, aux murs noirs de crasse. Elle était entièrement nue et la douleur qui lui déchirait le bas-ventre avait témoigné du viol dont elle avait été victime, encore inconsciente. Sur son corps, des traces de coups. Ce sadique avait pris son pied. Elle avait alors tenté de se dégager mais ses chaînes rouillées la maintenaient fermement au sol. Rien n’y fit, ses liens ne cédèrent pas. C’est alors qu’elle avait vu le matelas jauni par la pisse au milieu de la pièce. Du sang tâchait le tissu. Son sang. C’était vraisemblablement sur ça qu’il avait abusé d’elle. En imaginant la scène, Marcia avait sentit la bile monter dans sa gorge et elle avait vomit en pleurant. Comment la perversion et la folie perverse pouvait ainsi atteindre le cœur d'un homme ? Maintenant, elle se trouvait seule et effrayée, attendant qu’on vienne la délivrer. Qu’Adrian vienne la délivrer et mettre fin à ses supplices. Oh oui, seigneur. Faîtes qu’il arrive à temps.
Soudain la porte s’ouvrit et il apparu. Non pas Adrian comme Marcia l’aurait souhaité mais bien l’être qu’elle détestait le plus au monde en cet instant. Il était vêtu pour l’occasion d’une blouse de chirurgien, chaussé de bottes vertes et portait des gants de la même couleur. Un immense sourire zébrait son visage. Un visage qu’elle reconnut immédiatement pour l’avoir interviewé récemment. Grant Wilson. Elle se recroquevilla sur elle-même de terreur, pensant naïvement pouvoir échapper au monstre. Ce dernier alluma un vieux poste de radio pendant qu’il sortait ses outils : scie sauteuse et scies plus traditionnelles, pinces de différents calibres et liens en caoutchouc. La voix de Cass Philips des Mamas and Papas lui cassèrent les oreilles. La mélodie semblait plaire au commissaire de San Francisco qui n’était autre que le serial-killer traqué par la police. Quelle dramatique ironie.
« But you've gotta make your own kind of music
sing your own special song,
make your own kind of music even if nobody
else sing along ! »
Il approcha de sa victime et lui attrapa les poignets. Dans ses yeux dansaient les flammes de la folie et de la mort.
« You're gonna be knowing
the loneliest kind of lonely.
It may be rough goin',
just to do your thing's
the hardest thing to do ! »
Son allure de golden boy donnait à Grant Wilson un air presque sympathique mais la journaliste ne s’y trompait pas. Il allait la tuer. Il la détacha. Elle se rua sur lui, tenta de lui asséner un coup de poing mais il para l’attaque avec facilité et l’attrapa par les cheveux.
« Alors, salope. Tu veux m’échapper ? J’en ai pas fini avec toi. »
Sa voix était étrangement grave. Follement inquiétante. Il la poussa violemment contre le mur qu’elle heurta de plein fouet. Étourdie, elle le vit l’attacher au matelas. Méticuleusement, il aligna ses outils de travail sur le sol et se saisit d’une pince.
« Ton copain va bientôt arrivé. Mais je vais m’amuser jusque là. »
Pour Marcia, l’horreur recommençait de plus belle.
*
« Vous êtes malade ! »
Victor n’en croyait pas ses oreilles. Ce que lui proposait le Vigilante était tout simplement dénué d’une quelconque logique et une insulte même à la vie. C’était sans fondement de prendre pareille décision. Même si le justicier tenait à se venger de Leonid Kovar, il y avait des limites dans la façon de procéder. C’était impensable que le Vigilante fasse ça et que l’athlète l’y aide. Dans un survêtement de sportif, Victor semblait prêt pour la mission. Mais son morale flanchait totalement, surtout après les révélations du justicier sur la vraie nature de son plan. C’était un sacrifice dont il s’agissait. Un sacrifice qui n’aurait jamais été envisageable dans une situation normale. Comment pouvait-on ainsi disposer de la vie ? Bien que Victor soit lui-même rongé par la vengeance et la volonté de faire payer ceux qui avaient détruits sa vie, jamais il n’avait songé à ce genre de procédés pour y arriver.
« Vous êtes le seul sur qui je peux compter. »
Le Vigilante était vêtu de son costume si particulier. Ses lunettes oranges masquaient son regard que Victor se doutait perçant et déterminé. Oui, de son être et de son âme émanait une force et une puissance à faire plier le métal le plus résistant. Ce n’était même plus de simple détermination dont il s'agissait. Victor allait même jusqu’à penser que le Vigilante était devenu complètement fou. Une folie incroyablement motivante pour les autres membres du groupe, prêts à accomplir leurs objectifs. Mais pas Victor. Pourquoi ne demandait-il pas ça à un autre ? Pourquoi l’avoir choisi lui ? Même la petite Kole, âgée d’à peine douze ans, n’aurait pas hésité une seconde à obéir et se serait exécutée sans même ciller. Alors pourquoi Diable cette tâche lui incombait ?
« Je ne peux pas et vous le savez.
- Justement. »
Victor fronça les sourcils. Que voulait-il dire ? Était-ce encore l’un de ses tests ? Apparemment, son passe temps favori était de le mettre à l’épreuve et de le tourmenter. A croire que c’était une obsession chez ce malade. Mais là, il s’agissait d’une vie humaine. Ce n’était pas rien. Victor n’avait jamais tué, excepté ces créatures démoniaques contrôlées par le prêtre Sebastian. Mais là, c’était une situation totalement différente, un précipice contre lequel il était acculé sans son consentement. Et puis c’était un non -sens total. L’ancien quaterback ne pouvait tout simplement pas faire ça.
« Vous devez le faire. Si vous le faîtes, alors vous pourrez mener à bien votre vengeance. Si vous êtes capable de ça, alors vous serait capable de châtier vos ennemis comme ils le méritent. Ils ont brisés votre vie. Laissez-moi vous donner une chance de briser la leur. Je veux vous aider et c’est le seul moyen pour que vous parveniez à vos fins.
- Seuls les dossiers en votre possession m’intéressent. Notre accord ne comportait pas… ça ! »
Le Vigilante soupira.
« Le dossier est dans mon bureau personnel. Voici ma carte. »
Victor attrapa le bout de papier que le justicier lui tendait et y lu son véritable nom et son adresse. Stupéfié, Victor laissa échapper un « oh ! » de surprise.
« La clef se trouve sous le nain de jardin. Celui sans barbe et qui sourit en pointant du doigt la niche du chien.
- Je ne peux pas faire ça.
- Faîtes-le, je vous en conjure. Je sais ce que ça fait de se lever chaque jour en pensant à ceux qui vous ont humilié et brisé à jamais. »
De la tristesse pointait dans la voix du Vigilante. C’était la première fois que Victor le voyait ému.
« Que vous est-il arrivé ?
- Oh, c’est simple. A l’époque, je n’était qu’un simple flic des stups et j’enquêtais sur une affaire de drogue. Un dealer avait vendu des amphétamines à des ados et l’un d’eux en était mort. On m’avait collé l’affaire, à moi et à mon partenaire. Hank.
- Vous avez bossé avec Hank ?
- A votre avis, pourquoi a-t-il accepté si facilement de m’aider ? Mais laissez-moi poursuivre. L’affaire semblait banale mais bien vite, nous nous sommes aperçu que la drogue venait directement des entrepôts de la mafia russe. Officiellement, ils appartenaient à un riche armateur moscovite, mais tout le monde savait que ce n’était qu’une couverture. J’ai donc décidé d’aller mettre mon nez dans ces affaires louches et j’ai été jusqu’à décrier publiquement le propriétaire des entrepôts pour faire pression sur lui. Mal m’en pris. La nuit d’après ma déclaration, des hommes vinrent me rendre visite. Parmi eux, Leonid Kovar. Il me rouèrent de coups puis sous mes yeux, assassinèrent mon fils. Thomas. Ce fut Leonid qui tira la balle qui le tua. Dés lors, je n’eu de cesse de vouloir me venger. Je réussis à retrouver chacun des assassins et leur réservais une mort douloureuse. Je réussis même à atteindre l’armateur russe qui avait commandité le meurtre en posant des explosifs dans sa limousine. La traque dura des années, jusqu’à ce jour. A présent, j’ai une chance d’atteindre Leonid. Laissez-moi cette chance, Victor. Laissez-là moi. Je vous en prie.
- Mais et votre personnage ? Qu’allez-vous faire du Vigilante ?
- Je ne suis pas seul. »
Le Vigilante saisit les avant-bras d’un Victor ébranlé par les propos qu’il venait d’entendre et lui mis dans les mains son propre revolver. Comme dans un rêve, ses bras se levèrent et le canon se posa sur la tête du Vigilante. Tremblant, Victor ferma les yeux puis appuya. Ça y est. Il l’avait tué. Le corps du Vigilante gisait maintenant à ses pieds. Aucune larme ne vint troubler son regard à la vu de ce qu’il avait fais et ses mains allongèrent le cadavre dans un linceul blanc. Il devait terminer sa mission. En mémoire du Vigilante. En mémoire du lieutenant Harry Stein.
*
« Je l’ai touché ! »
Baran rangea son magnum avec un franc sourire, ce qui se traduisait sur son faciès par une horrible grimace. Selinda freina bruyamment et les passagers sautèrent en dehors du 4x4 noir. Les trois autres mercenaires se tenaient prêt à aller chercher leur butin, l’être qu’il poursuivaient depuis de trop nombreux jours. Par une chance improbable, Simon l’avait repéré grâce à ses talents psioniques. Ils auraient dû se douter que le Vigilante irait se terrer dans le trou à merde qu’était Bayview. Très vite localisé, la traque avait repris. Le justicier masqué jouait les acrobates sur les toits des immeubles, sans doute en quête d’un citoyen à sauver des griffes du crime. Finalement, c’était Baran qui l’avait touché, alors qu’il s’engouffrait dans une ruelle sombre. Mais très vite, les tueurs comprirent que leur cible n’était pas tout à fais morte puisqu’elle se relevait en boitillant et tentait de fuir.
« C’est malin ! Si tu pouvais parfois user de ton cerveau et mobiliser une quelconque trace d’intelligence et de bon sens sous cette boîte crânienne qui semble désespérément vide, alors peut-être m’aurais-tu laisser abattre ce rigolo grâce à l’arme que voici. »
Paul arma son fusil à lunette bricolé par ses soins puis tira sur le fugitif. La balle stoppa nette la course grotesque du Vigilante qui s’étala de tout son long dans la boue.
« Strike ! »
Arthur ria bruyamment en répétant le mot inlassablement. Baran le fit taire en le menaçant du poing puis se dirigea vers le corps inanimé. Ce crétin de Gizmo allait toucher une prime plus grosse que la sienne, ce qui le mettait de forte mauvaise humeur. Ses camarades le suivirent de bon grès, imaginant déjà l’argent qu’ils amasseraient. Tandis que le géant russe s'apprétait à inspecter le corps, Paul ne put s'empêcher de claironner :
« Imaginez-moi dans une piscine remplies de méthylène-dioxy-méthylamphétamines et des gonzesses - pardonnez ce terme quelque peu familier - nues, opérant sous mes yeux diverses gâteries cochonnes entre elles, comportant fell…
- Ta gueule ! Je sens un truc pas net. »
Simon venait de fermer les yeux et se prenait la tête entre ses mains. Baran sortit son magnum et roula des yeux affolés autour de lui. Les autres mercenaires l’imitèrent.
« Il est pas un peu petit notre Vigilante ? »
Selinda s’approcha du cadavre et retira le masque. Les yeux d’une petite fille au visage sale la fixèrent et elle sentit une douleur vive dans sa jambe.
« Salut pétasse. »