Arc de Triomphe
Jeudi 17 février
00 h 51
- Vous êtes Adrien Nerval, n’est-ce pas ? L’Archer ?
Il mesurait 1m90, il était brun, les cheveux longs attachés en queue de cheval. Ses bottes, son pantalon, sa tunique : tout était d’une nuance de vert différente.
- Ce n’est pas parce que mon identité n’est pas un secret que je t’autorise à la prononcer à haute voix devant moi, jeune imbécile, me répondit-il froidement. Es-tu conscient que tu as failli mourir ce soir ?
L’ignorant, je me suis penché vers la créature tandis qu’il communiquait avec les militaires à l’aide d’un talkie-walkie. La flèche avait paralysé le scientifique en brisant sa colonne vertébrale, mais il était vivant, bien qu’en sale état. Dans un état second, il me vit et me murmura quelques mots :
- Le bouton… Je n’ai… pas appuyé sur…
- Chut, le calmai-je.
- Ils disaient que c’était bon… les tests étaient terminés… mais je ne voulais pas… et maintenant…
- C’est terminé, tout ça, le rassurai-je. L’armée trouvera le moyen de vous rendre votre aspect normal. Vous serez jugé.
- Je suis tellement… désolé…
Il leva lentement la main vers moi et un de ses énormes doigts toucha délicatement mon masque de Gorille. Ce contact signifiait « je suis désolé pour tout ce qui est arrivé, pour les morts de l’accident et de ma colère ». Une flèche vint se loger dans sa nuque, le tuant sur le coup ; je n’ai pas réagi tout de suite, choqué par cette mort subite, j’ai vaguement entendu l’Archer dire quelque chose à côté de moi :
- Il allait vous tuer, je viens de vous sauver la vie.
- Non ! hurlai-je en me jetant sur lui et en le faisant tomber à la renverse. Il était calme, il venait de s’excuser pour ce qu’il avait fait !
- Ne soyez pas ridicule, cracha-t-il sans se défendre. C’était un monstre, ils n’ont pas de regret. Il allait vous broyer la tête.
J’ai cru que j’allai lui écraser la tête son mon poing. Ce type venait de tuer un être sans défense ! J’ai poussé un cri de rage, puis j’ai couru vers le bord de l’Arc de Triomphe et j’ai sauté.
* * * * * * * * *
Techno Lab
Dix jours plus tôt
15 h 29
Ça s'est passé très vite, il a fallu qu'on m'explique après coup ce qui s'était passé pour que je comprenne. Ce laboratoire travaillait sur les mutations génétiques, mais même si officiellement leurs chercheurs ne travaillaient que sur des souris et d'autres rongeurs, les autorités les soupçonnaient de travailler en secret au niveau humain.
Sauf que ça, ça n'était pas marqué sur la brochure.
La visite guidée nous présentait certains labos, nous expliquait comment ils avaient réussi à multiplier par dix la musculature des rongeurs, à développer tous leurs sens, et au bout d'une heure et demi, la visite se terminait dans le dernier labo. Le dernier labo officiel.
- Mesdames et messieurs, nous annonça doucement notre guide plutôt sexy, la visite est maintenant terminée. Nous espérons qu'elle vous a plu, et en espérant vous revoir bientôt, nous vous invitons à rejoindre le hall d'accueil où vous trouverez toutes les brochures et informations complémentaires que vous désirerez.
La foule s'avança vers la porte de sortie de la pièce où nous nous trouvions, tandis que Fred – le copain avec qui j'étais venu – et moi restions en arrière, attendant que la voie soit libre.
- Alors ? me demanda-t-il. T'as trouvé ça comment ?
- Sympa, mais beaucoup moins intéressant que notre guide.
Il s'esclaffa, mais ce fut la dernière chose que j'entendis de lui. Les poils de mes bras se dressèrent tout à coup et, instinctivement, je me suis tourné vers le mur derrière moi. Et soudainement, brutalement mais sans douleur, une espèce d'onde colorée, rougeâtre, traversa le mur et nous percuta tous les deux, nous propulsant en l'air sur quelques mètres ! L'atterrissage fut dur, et je dus me casser une côte à ce moment-là. Nous n'étions pas les seuls à avoir été touchés, le reste de notre groupe était lui aussi à terre ; je me suis douloureusement relevé en grognant et en promettant que le directeur de ce labo allait entendre parler de nous.
Puis... L'horreur. A l'état pur.
Des cris de terreur volèrent à travers la pièce, provenant de mes camarades de groupe et, levant les yeux vers eux, je ne pus m'empêcher de faire un pas en arrière, de panique et de dégoût : leur corps, le corps entier des gens présents, ils... ils se putréfiaient !!
La couleur de leur peau virait au verdâtre, sous l'effet d'un pourrissement accéléré, sans que les personnes ne puissent faire autre chose qu'hurler !
« C'est un cauchemar, me répétais-je, c'est un cauchemar, un simple cauchemar »
Mais lorsque j'ai baissé les yeux vers mes mains, j'y découvris le même spectacle que je pouvais observer sur les autres : mes mains étaient en train de pourrir, de se décomposer en émettant une puanteur inégalée !
J'ai voulu crier à l'aide, mais j'en fus incapable, car le mal me rongeait également de l'intérieur, mes cordes vocales étaient inutilisables. Mes bras, mes jambes, tout mon corps y passait. Même mon visage, que je n'osais pas toucher.
Quant à Fred... Il était le plus chanceux de nous tous : il avait été assommé dans sa chute, et n'était pas conscient de ce qui lui arrivait. Partout, les gens s'écroulaient, inconscients ou peut-être morts. Pourquoi cela m'arrivait à MOI ?! Qu'est-ce que j'avais bien pu faire pour mériter ça ?! Mourir comme ça !
Non... Non, ça n'arriverait pas ! Non ! Hors de question ! Mais malgré toute ma volonté, chaque os de mon corps semblait se détacher des autres sans que je ne puisse rien y faire. J'avais de plus en plus de mal à me concentrer sur ce qui se passait, ma vision devenait de plus en plus floue...
Si je m'endormais, je ne me réveillerais pas, j'en étais conscient. Mais ça allait peut-être m'éviter de longues minutes d'agonie. Mes forces m'abandonnaient, m'abandonnaient, m'abandonnaient... Puis... Le choc ! Je fus tétanisé de douleur, d'une douleur différente, une douleur que je sentais... bénéfique ! La couleur de ma peau revira rapidement vers le beige, et je retrouvai mes forces.
Instinctivement et sans m'en rendre compte, je poussai un grognement de colère et frappai de toutes mes forces mes poings au sol. Quelle ne fut pas ma surprise quand je vis que le sol n'avait pas résisté à la force de cette attaque, et s'était fissuré ! Mes forces... Non seulement je les avais récupérées, mais en plus elles avaient l'air de s'être grandement développées.
- Gnumpf !
Une espèce de grognement, derrière moi, suivi d’un choc sourd. Quand je me suis retourné, le mur en face de moi s’écroulait et laissait place à un géant de trois mètres, tout en muscles et entièrement nu qui me regardait d'un air extrêmement fâché. J'aurais dû m'enfuir, mais j'en étais tout à fait incapable, je dois l'avouer : j'étais tétanisé. Il pouvait me tuer, je pensais qu’il allait le faire, mais heureusement, il n'attaqua pas : son corps sembla s'affaisser, et le géant s'effondra sans raison apparente.
Alors que je me demandais ce qui avait bien pu lui arriver, un mal de tête me frappa violemment et me fit perdre rapidement connaissance.
* * * * * * * * *
Sur le toit du 4, rue Thibaud, Paris XIV
Jeudi 17 février
6 h 12
Annabelle monta sur le toit par le passage de service et s’assit à côté de moi au bord. Mon masque de Gorille était dans mes mains, abîmé par une nuit agitée. Les gants étaient intacts, conçus pour être utilisés dans les pires conditions.
- Comment tu m’as trouvé ? lui demandai-je.
- À chaque fois que tu te sens mal, tu montes ici pour réfléchir. Et après ce qui s’est passé cette nuit… La télé a tout montré.
- L’Archer l’a tué. Je sais qu’il a tué des gens et qu’il devait être puni, mais… il a été abattu sans procès alors qu’il était inoffensif, c’est du meurtre. Hors de question que je cautionne ça.
- Qu’est-ce qui te dit qu’il n’était plus dangereux ? Il t’a peut-être sauvé la vie, ce guignol en vert.
- Il n’était plus dangereux, je le sais.
Annabelle prit le temps de la réflexion avant d’ajouter :
- Je t’ai déjà dis que le monde réel n’était pas un conte de fée, Matthieu. Des hommes politiques détournent de l’argent, des flics tuent des gamins, des super-héros tuent des gens… C’est comme ça. Tu t’attendais à quoi ? Les bons d’un côté, les méchants de l’autre ? Il te faudra combien de nuit comme celle-la avant de comprendre comment fonctionne le monde ?
Je n’ai pas répondu. Espérait-elle me faire raccrocher comme ça ? Elle paraissait cependant gênée de me voir dans cet état :
- Je travaille toute la journée, mais je te passerai un coup de fil à midi pour voir comment tu vas, d’accord ? Oh, et la Sorbonne t’a appelé.
- Ils veulent savoir pourquoi j’ai loupé une vingtaine d’heure de cours depuis début janvier, devinai-je. En fait, le doyen m’en déjà parlé, et il veut, hum, comment dire…
- Que tu dégages ?
- Ouais, c’est ça. Mais il a bien voulu garder mes absences pour lui sans avertir le CROUS pour que je garde mes bourses universitaires, si je réintègre mon ancienne université, à Paris 7.
- L’année dernière à Poitiers, le premier semestre de cette année à Paris 7, le début du deuxième à la Sorbonne et maintenant retour à Paris 7... Tu vas avoir un CV intéressant.
J’ai souri :
- Ma mère va être déçue, elle était tellement fière que j’intègre la Sorbonne… Tu crois que si je lui dis que je me balade en costume de gorille, elle se sentira mieux ?
Elle sourit, et secoua la tête.
- Dors bien, beau brun.
Elle se leva et quitta le toit pour commencer sa journée de travail. Dormir ? Oh non, je n’avais absolument pas envie de dormir, et le soleil ne se lèverait pas avant une bonne heure. J’avais envie de me défouler ; j’ai enfilé mon masque, j’ai pris une grande bouffée d’air et j’ai bondi vers le bâtiment en face.