Voir est quelque chose de merveilleux.
Pouvoir ouvrir les yeux et admirer le monde qui nous entoure, admirer le panel infini de couleurs composant le monde, c’est… merveilleux, Annita ne trouvait pas d’autres mots. Jamais, alors qu’elle était « normale », elle n’avait compris à quel point elle avait de la chance en observant le bleu magnifique du ciel, le jaune d’or des champs de blés s’étendant à l’infini… Aujourd’hui, elle donnerait tout ce qu’elle avait rien que pour pouvoir ouvrir les yeux, mais ce simple geste lui était interdit : la dernière fois que l’adolescente de 16 ans avait ouvert les yeux, Manhattan avait été ravagé par un mystérieux « monstre » et le montant des dégâts n’avait pas encore été officialisé.
Du coup, elle ne pouvait voir qu’à travers les yeux d’autres personnes grâce à la télépathie de l’X-Woman à qui elle avait copié ce don. Ces sales X-Men… Sans eux, elle serait sûrement à cette heure-ci dans les bras de Calvin au lieu d’attendre dans cet entrepôt puant des Docks que Charles Xavier daigne se pointer !
Cela faisait maintenant deux heures qu’elle attendait, perchée sur une poutre métallique à vingt mètres du sol, en équilibre grâce à l’agilité du Fauve. Ah, si elle avait accepté de rejoindre l’école pour monstres de Xavier… D’une oreille, elle écoutait la télévision allumée qu’elle avait laissée au sol et qui enchaînait des flashs info aussi rébarbatifs que répétitifs sur Fox News. Dans deux minutes elle balance une rafale optique sur le poste pour en finir. Elle aurait tout donné pour dix minutes de MTV… D’un autre côté, voir danser des filles au corps parfait lui aurait douloureusement rappelé combien le physique du Fauve l’avait transformée en Bête.
Elle fut coupée dans ses pensées par le bruit d’une berline se garant devant l’entrepôt et le bruit d’une porte qu’on claque. Annita essaya de percer les pensées de l’homme, mais se retrouva face à un barrage psychique redoutable qui la repoussa aisément. Sûrement Xavier. Elle déploya ses ailes et se laissa tomber dans le vide pour planer doucement jusqu’au sol, au moment où l’homme entra dans le grand espace clôt.
Elle se posa et se redressa.
- Vous en avez mis, du temps, lui reprocha-t-elle. Je ne suis pas à votre disposition.
- C’est vrai que t’es moche…
La voix fit sursauter l’adolescente aveugle :
- Vous… vous n’êtes pas Xavier.
- Et toi, t’es pas Claudia Schiffer. Tu parles d’une déception…
L’homme tendit la main vers Annita qui ne réagit pas.
- T’es aveugle, c’est vrai. Je me présente, je m’appelle Pete Wisdom, je représente Xavier pour cette séance et – j’en ai bien peur – sûrement pour toutes celles qui suivront.
- Xavier m’avait dit qu’il…
- Oublie Xavier, Frankenstein, la coupa-t-il. Il ne viendra pas, et je ne veux pas de questions avant d’avoir pu poser mon cul sur une chaise et m’être allumé une clope.
L’homme brun aux cheveux mi-longs portant un imperméable noir dépassa l’adolescente pour se diriger vers l’unique table de l’entrepôt disposée au milieu de celui-ci.
- Je veux des réponses ! cracha Annita. C’est quoi cette histoire ?!
- Viens donc t’assoire, lui répondit-il. Il faut qu’on cause, et ça risque d’être long.
A contre cœur, Annita se dirigea vers Wisdom d’après sa voix – elle n’arrivait toujours pas à percer les protections télépathique de l’inconnu et restait donc aveugle. Elle s’assit maladroitement sur la deuxième chaise sans que Wisdom fasse le moindre effort pour l’aider et sentit bientôt une désagréable odeur de tabac lui agresser les narines.
- Et maintenant ? demanda Annita.
- On commence : tu t’appelles Annita Schaffer, t’as 16 ans et – manque de pot – t’es une mutante. Tu copies les pouvoirs des autres mutants, c’est pour ça que tu ressembles à un mix des gamins de Xavier (j’ai vu des photos). Depuis, tu zones dans New York. Fin du dossier. Ah, j’oubliais : t’as fait autant de dégâts à Manhattan en clignant des yeux que les attentats du 11 septembre. Je me trompe quelque part ?
- Qui êtes-vous ?
Wisdom soupira.
- Pete Wisdom, FBI. Et accessoirement redevable auprès de Charles Xavier qui en a profité pour me refiler ton cas.
- Oh… vous êtes un mutant. C’est pour ça que je n’arrive pas à lire vos pensées !
- Non, oh la la, je suis un humain, un pur souche. Mes barrières psychiques, c’est un cadeau de notre ami commun le chauve.
La patience d'Annita avait atteint ses limites :
- Pourquoi Charles Xavier n'est-il pas là ?!
Wisdom sourit en soufflant sa fumée vers elle, et répondit d'un ton calme :
- Il ne m'a rien dit, mais je me doute qu'il n'a pas très envie d'être vu avec toi. Le FBI a un oeil sur lui, monsieur sait que ça n'arrangerait pas ses problèmes d'avoir affaire avec la mutante qui a détruit une partie de Manhattan. Il préfère que quelqu’un ait un œil sur toi le temps que les choses se tassent un peu, quelqu’un qui veille à ce que tu ne fasses pas de conneries.
- Le chien… grogna-t-elle.
- Il sait que la nature de son école pour mutants ne restera pas secrète éternellement, et il préfère être le plus clean possible le jour où le grand public saura que monsieur X élève une petite armée mutante. Or t’es une terroriste…
- Je ne suis pas une terroriste ! Vous croyez que c’est pas assez dur de vivre avec ce que j’ai fait à Manhattan ?!
- Va l’expliquer aux patrons de la CIA, du FBI, de la NSA et toutes les autres organisations gouvernementales plus ou moins officielles, je suis sûr qu’ils seront très compréhensifs… Merde, Frankie, le fait même que je te parle me fait risquer la peine de mort pour haute trahison, tu commences à saisir ?
- Mais… mais… pourquoi Xavier a… Il m’a proposé de rejoindre ses X-Men ! J’y crois pas, il savait que j’allais refuser ?!
Wisdom ricana doucement en glissant son mégot de cigarette dans un petit sac en plastique rigide refermable – par précaution : si des fédéraux venaient à enquêter sur cet entrepôt, il ne veut pas prendre le risque qu’ils découvrent son ADN dessus. Il se sortit une autre cigarette et l’alluma en lançant à Annita :
- Tu connais le pouvoir mutant de notre professeur X adoré ?
Annita réfléchit un instant, puis :
- Il… peut parler dans la tête des gens.
L’agent du FBI sourit de la naïveté de sa nouvelle protégée.
- Il est télépathe. Et pas piqué des hannetons, si tu vois ce que je veux dire. Tu sais en quoi ça consiste ?
Devant la mine de la mutante, il reprit :
- Je ne fais pas partie de la section mutante du FBI (qui au passage n’existe pas officiellement) mais je sais quelques trucs sur les télépathes. On les répertorie en trois classes : classe 1, ceux qui peuvent lire les pensées ; classe 2, ceux qui lisent les pensées et peuvent les contrôler ; classe 3, les plus puissants, ceux qui peuvent extraire leur conscience de leur corps et se balader où ils le désirent, voire même prendre le contrôle tant qu’ils le veulent du corps d’une personne. Le FBI a classé Xavier de classe 2, potentiellement classe 3. Tu captes ? Alors que tu te souviens avoir refusé gentiment l’offre de Xavier, tu étais peut-être en réalité en train de le supplier de te prendre dans son équipe et t’aider à contrôler tes pouvoirs.
- Vous mentez… grogna Annita.
- Peut-être, haussa-t-il des épaules. Mais qu’aurais-je à y gagner ? Xavier t’a parlé de ses espions, je suppose ?
- Il m’a proposé d’en faire partie… et j’ai accepté.
Wisdom éclata de rire alors que le monde d’Annita s’écroulait autour d’elle. Ses espoirs d’une vie enfin meilleure s’effondraient sous ses yeux !
- Ma pauvre Annita, t’es vraiment naïve… Ils existent, ces espions, j’en ai déjà croisé un lors d’une de ses missions. Mais Xavier a besoin d’un personnel discret pour effectuer ce genre de mission… t’as vraiment l’impression de pouvoir passer inaperçue ? Crois-moi, Xavier s’est bien foutu de ta gueule, ma petite, du début jusqu’à la fin. Et maintenant, on est là tous les deux et je suis sensé t’apprendre à contrôler tes pouvoirs… Putain de Xavier, tiens ; de toute façon avec vous, les mutants, c’est toujours pareil. Putains de mutants…
Annita, ne pouvant en supporter plus, se leva, fit quelques pas à l’opposé de Wisdom, et lâcha :
- Allez-vous en. Ne revenez jamais ou je vous gèle sur place !
Wisdom secoua doucement de la tête, las.
- Encore une fois, t’as pas bien pigé. Je suis là pour veiller sur toi, et même si je n’en ai aucune envie, c’est ce que je vais faire. Tu préfères commencer par exercer quel pouvoir ?
Il fouilla dans une de ses poches intérieures et en sortit une feuille remise par Xavier détaillant les pouvoirs de la mutante. Ses ailes d’ange, son rayon optique incontrôlable, l’agilité d’un animal, sa télékinésie, sa télépathie et son contrôle sur la glace.
- Chut ! lança la mutante. Vous entendez ?
- Entendre quoi ?
Annita se tourna vers le poste de télévision en même temps que Wisdom, et ce qu’ils virent leur glaça le sang. Le président Bush faisait une conférence de presse d’apparence banale, mais ses paroles, elles, étaient loin de l’être :
« Car oui, je pense pouvoir le dire aujourd’hui sans me tromper : les mutants sont une réalité, ils existent »
Puis, avec une mine grave :
« Ils sont parmi nous »
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